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  Triomphe
des Arts

Livret


  Le Triomphe des Arts
Préface au livret

par

Houdar de la Motte




 

 



 


 

Avertissement

La Grèce, où les Arts ont le plus fleuri, m'a fourni toutes les actions qui entrent dans cet Ouvrage : Elles sont heureusement si célèbres, qu'au seul nom des Acteurs on connaîtra de quoi il s'agit ; aussi n'est-ce sur la forme que j'ai donné à ces actions, que je crois devoir faire ici quelques remarques.

Il ne nous reste des Ouvrages de Sapho, qu'un Hymne à Vénus & les fragments d'une Ode à une amie. C'est de ce fragment, où Sapho fait voir la passion la plus vive, que j'ai tiré son caractère, & son Hymne m'a fourni l'idée de celui que je lui fais offrir à Vénus pour se la rendre favorable : Je me ferais honneur de conserver ses pensées & son tour si je les avais crus de notre goût ; mais la plupart des beautés des Anciens sont attachées, ou à une expression particulière à leur langue, ou à des rapports, qui ne nous étant pas familiers comme à eux, ne nous sauraient faire le même plaisir ; ainsi j'ai mieux aimé donner un médiocre original, qu'une copie froide & languissante : Enfin j'ai tourné en véritable apothéose le Titre que les Anciens ont donné à Sapho de dixième Muse, & cette liberté est trop à la bienséance du Théâtre où je l'emploie pour craindre qu'on me la reproche.

Je n'ai presque rien changé à la fable d'Amphion, j'ai seulement rassemblé ce qu'on en publie ; les poètes disent qu'il éleva les murs de Thèbes au son de sa lyre, & les Mythologistes, qu'il rassembla les hommes jusqu'à lors dispersés dans les forêts, & qu'il les réunit sous les lois d'une société raisonnable : Je joins ces deux merveilles dans mon entrée, & le lien dont je me sers, est l'ambition délicate que je donne à Amphion de couronner ce qu'il aime ; motif assez vraisemblable & que j'ai cru intéressant. J'ai encore caractérisé Niobé par ce sentiment trop vif de son bonheur qui lui attira l'indignation des Dieux à qui elle osa le préférer.

Pour la peinture je n'ai point eu la liberté du choix, le seul trait d'Apelle qui devint amoureux de Campaspe en la peignant et qui l'obtint ensuite grâce à la générosité d'Alexandre, ce seul trait, dis-je, pouvait convenir à mon sujet ; une chose entre autres pourrait donner quelque prise à la critique dans la manière dont je l'ai traité : c'est que Campaspe préfère Apelle à Alexandre ; mais outre que j'ai adouci cette préférence en exposant qu'Apelle était aimé avant qu'Alexandre déclarât son amour, & en faisant sentir à Campaspe même l'illusion que son amour lui fait sur le mérite d'Apelle ; c'était encore l'unique moyen de rendre l'action judicieuse & propre au Théâtre. Que Campaspe aime Alexandre ; il y aurait de la tyrannie à la remettre aux mains d'Apelle ; qu'Alexandre ne l'aime pas, il y aurait peu de générosité à la céder ; & enfin que Campaspe n'aime rien, ce serait un personnage froid à qui l'on ne prendrait nul intérêt ; au lieu que dans ma disposition Alexandre excite l'admiration par l'effort qu'il se fait, & Apelle, & Campaspe excitent la joie par le bonheur qu'ils obtiennent : d'ailleurs, mon sujet étant la gloire des Arts, j'ai cru que sans choquer la vraisemblance, je pouvait supposer dans Campaspe un caprice d'amour qui fit briller avec plus d'éclat le pouvoir de la peinture.

Celui de la Sculpture paraît avec excès dans l'amour de Pygmalion pour sa statue, j'ai orné cette Entrée de la passion d'une Propétide persécutée par Vénus, qui la change en rocher au moment qu'elle anime la statue de Pygmalion ; les emportements de cette Propétide contrastent la douceur de sa rivale, d'autant plus heureusement que pour cette variété je n'ai eu besoin que d'unir deux fables qu'Ovide n'a presque pas séparées,
Voilà ce que j'avais a dire sur la disposition de cet Ouvrage ; mais quelque raison que j'apporte, je ne me flatte, ni d'avoir surmonté toutes les difficultés de  mon sujet, ni d'en avoir rend tous les agréments.