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Titon & l'Aurore
Pastorale héroïque,
en trois actes et un Prologue.

Représentée pour la première fois par l'Académie Royale de Musique,
 le Mardi 9 Janvier 1753.

L'auteur du livret est inconnu (*),
Musique de Pierre Cassanea de Mondonville.




 

 



 


 

Acteurs du Prologue

PROMÉTHÉE.
L'AMOUR.
JUPITER.
ESPRITS DE LA SPHÈRE DU FEU.
LES STATUES qu'on anime.
Suite de l'AMOUR, les GRÂCES, les RIS, les JEUX & les PLAISIRS.
 

Acteurs de la Pastorale.
TITON.
L'AURORE.
ÉOLE.
PALÈS.
L'AMOUR.
UN BERGER.
Une NYMPHE de la Suite de Palès,
AQUILON.
BORÉE,
BERGERS & BERGÈRES,
PÂTRES.
Suite de Palès, NYMPHES, FAUNES, SYLVAINS.
Suite de L'AMOUR, PLAISIRS, RIS & JEUX.
HÉBÉ.
VENTS.

 

Prologue

Le Théâtre représente le Palais de Prométhée, orné de Statues d'hommes & de femmes en différentes attitudes.

Scène Première.

PROMÉTHÉE.
Dieux, ne connaissez-vous d'autre félicité,
Qu'une éternelle indifférence,
Votre honteuse oisiveté
Déshonore votre puissance.

Faisons de leur repos rougir les Immortels,
Du feu des Cieux je me suis rendu maître ;
C'est par moi seul que l'homme va naître,
C'est à moi seul qu'il devra des autels.

Esprits soumis à mon Empire,
Que ce peuple s'anime & vive par vos feux,
Qu'aujourd'hui l'argile respire,
Volez, volez, soyez aussi prompts que mes voeux.

(Les Esprits du feu volent de toutes parts & secouent leurs flambeaux sur les Statues.)

Soyez de l'Univers le plus parfait ouvrage,
Ouvrez les yeux, connaissez-vous.

(Les Statues s'animent.)

Chantez mortels, goûtez votre nouveau partage :
Que les Dieux vont être jaloux,
De la beauté de leur image !

LES STATUES animées.
Quelle clarté brûle à nos yeux,
Et quel feu divin nous enflamme.
Quelle main nous a faits ? Que sommes-nous, ô Cieux !
Les désirs, & l'espoir naissent avec notre âme.

PROMÉTHÉE.
Vous, dont l'obéissance a rempli mes souhaits,
Habitants fortunés de la Sphère brûlante,
Venez, qu'une fête brillante
Célèbre nos bienfaits.

(Les Esprits du feu forment un divertissement.
On entend un Prélude.)

PROMÉTHÉE.
Quelle agréable mélodie !
Mortels, c'est le Dieu des Amours.
Destinez lui vos plus beau jours,
Vous sentirez bien mieux de quel prix est la vie
Si son flambeau divin en éclaire le cours.

(L'Amour descend dans un nuage.)

 

Scène II.

PROMÉTHÉE, L'AMOUR, Suite de l'Amour, MORTELS.

L'AMOUR à Prométhée.
Lorsque des Éléments, j'ai terminé la guerre,
Tout l'Univers est né de mon commandement :
Mais en vain du chaos j'avais tiré la Terre,
Il t'était réservé d'en former l'ornement.

PROMÉTHÉE.
Règne sur les Mortels que mon art a fait naître,
C'est à l'Amour, c'est aux tendres désirs,
C'est aux Grâces, c'est aux Plaisirs,
De leur donner un nouvel être.

L'AMOUR.
Pour mieux assurer leur bonheur,
Réunissons notre puissance :
Il te devront leur existence,
Mais il m'en devront la douceur.

Qu'on ne parle que de ta gloire,

PROMÉTHÉE.
Qu'on ne chante que ta victoire,

L'AMOUR.
Célébrez l'auteur de vos jours.

PROMÉTHÉE.
Célébrez le Dieu des Amours.

CHŒUR.
Qu'on ne chante que sa victoire,
Qu'on ne parle que de sa gloire,
Célébrons le Dieu des Amours.
Célébrons l'auteur de nos jours.

L'AMOUR, à sa Suite.
Vous, qui de tant d'attraits embellissez Cythère,
Formez les plus aimables jeux.

(Aux mortels.)

Mortels, apprenez l'art de plaire,
Vous n'en serez que plus heureux.

(On danse.)

L'AMOUR.
Jeunes mortels,livrez vos âmes
Aux douceurs de la volupté ;
Ce n'est qu'en brûlant de mes flammes
Qu'un tendre coeur jouit de la félicité.
Ne craignez jamais les alarmes
Que peuvent causer les soupirs ;
Si l'Amour fait verser des larmes,
Il sait les essuyer par la main des plaisirs.

(On danse.)

L'AMOUR.
De l'Amour le pouvoir suprême,
Ne doit jamais vous alarmer.
Apprenez qu'un mortel qui sait se faire aimer,
Peut l'emporter sur les Dieux même.

CHŒUR.
Célébrons le Dieu des Amours.
Qu'on ne chante que sa victoire,
Célébrons l'Auteur de nos jours.
Qu'on ne parle que de sa gloire,
 

FIN DU PROLOGUE.

 

Titon & l'Aurore

ACTE PREMIER.

Le Théâtre représente la nuit, des bois d'un côté, un hameau de l'autre, & dans le fond des Prairies riantes & fertiles.

Scène Première.

TITON
Que l'aurore tarde à paraître !
De mes soupçons je ne suis plus le maître,
Hélas ! tout l'invite à changer.
Elle va devenir légère ;
Dans des noeuds plus brillants les dieux vont l'engager.
Pourquoi n'est-elle pas Bergère ?
Pourquoi ne suis-je que Berger ?

(Le jour paraît.)

Que vois-je ? quel éclat, c'est elle !
C'est l'Aurore... fuyez soupçons, éloignez-vous ;
Pardonne Amour, je suis tendre et fidèle,
Il m'est permis d'être jaloux.

 

Scène II.

TITON, L'AURORE.

TITON.
Je vous revois enfin, je revois tant de charmes,
Belle déesse, mon bonheur
N'est-il pas un songe imposteur ?
Ah ! sur mes tendres alarmes,
Daignez rassurer mon coeur.
La crainte d'un amant doit être pardonnable ;

L'AURORE.
Qui peut vous alarmer ?

TITON.
Le trouble inséparable
D'une sincère ardeur.
Ah ! que le calme est difficile
Quand on est bien épris ;
De votre amour je connais trop le prix,
Pour être Amant tranquille.

L'AURORE.
Je n'aime, je ne vois, je ne cherche que vous,
Quoi, serez-vous toujours injustement jaloux ?

Pour vous revoir plus tôt dans cette solitude,
J'abrège de la nuit la longue obscurité.
Ce tendre aveu mille fois répété,
Doit bannir votre inquiétude.

TITON.
Votre coeur doit être flatté
Du sentiment qui le blesse ;
Il fait honneur à la beauté,
Sans offenser la tendresse.

L'AURORE.
Qu'un amant trouve de raisons,
Pour faire excuser ses soupçons.
De ma confiance enfin, votre âme se défie ?

TITON.
Redoutables rivaux d'un Berger amoureux,
Tous les Dieux vous offrent leurs voeux.

L'AURORE.
Et tous ces Dieux, ingrat, je vous les sacrifie.

TITON.
Les destins ont marqué la fin de nos amours,
Ces immortels vous aimeront toujours ;
Malgré tout mon bonheur, que je leur porte envie !

L'AURORE.
Si l'amour a le droit de conserver la vie,
Toujours aimé, toujours heureux,
Vous serez Immortel comme eux,

ENSEMBLE.
Règne amour dans nos âmes,
Lance tes traits vainqueurs ;
Épuise sur nos coeurs
Tes bienfaits et tes flammes.

L'AURORE.
Bergers, soyez témoins de nos tendres soupirs,
Venez me rendre hommage en chantant nos plaisirs.

 

Scène III.

L'AURORE, TITON, BERGERS, BERGÈRES, PÂTRES.

(On danse.)

UN BERGER, & le CHŒUR.
Célébrons l'Amour & l'Aurore,
De nos destins nous leur devons le cours.
L'Aurore annonce les beaux jours,
C'est l'Amour qui les fait éclore.

(On danse.)

TITON.
Votre aimable coeur Aurore
Est sensible à mes soupirs.
Vous m'aimez, je vous adore,
L'Amour comble nos désirs.
Puissent-ils s'accroître encore,
Par le charme des plaisirs.

(On danse).

L'AURORE.
Venez sous ce riant feuillage,
Petits oiseaux, volez, accourez tous.
Chantez le Dieu qui nous engage,
J'aime à le chanter avec vous.
Votre coeur n'est jamais volage,
Vous aimez sans être jaloux,
L'innocence est votre partage,
Vous êtes heureux comme nous.

Venez sous ce riant feuillage, &c.

(On danse.)

(On entend un Prélude.)

Que vois-je, ô Ciel ! Éole est dans ces lieux !
Fuyons ses transports furieux.

 

Scène IV.

ÉOLE.
Vous me fuyez en vain, ma trop juste colère
Me vengera bientôt d'un Rival téméraire,

Divinité des coeurs jaloux
Vengeance, je t'implore.
Ajoute, s'il se peut encore
Aux noirs accès de mon courroux.

Qu'il en coûte aujourd'hui des larmes à l'Aurore.
Fait tomber sous mes coups
Cet amant qu'elle adore,
Ce Rival que j'abhorre.
Divinité des coeurs jaloux
Vengeance, je t'implore.

 

Scène V.

ÉOLE, PALÈS.

PALÈS.
Éole, quel sujet cause votre fureur ?
Venez-vous, Dieu cruel, au gré de votre rage,
Semer dans l'Univers l'épouvante & l'horreur ?

ÉOLE.
Je me lasse d'offrir un inutile hommage,
Ma vengeance poursuit deux coupables Amants.
L'Aurore aime Titon ; témoin de leurs serments,
J'ai juré le trépas du Mortel qui m'outrage.

PALÈS, à part.
O Ciel !

ÉOLE.
Que l'ingrate partage
Ou mon amour, ou mes tourments.

PALÈS.
À ce faible Berger, vous ôterez la vie ?
Qu'elle va vous haïr...

ÉOLE.
Je veux le mériter.

PALÈS.
Il faut que l'Aurore l'oublie,
Et vous le ferez regretter.
Enlevez-lui Titon, mais pour vous et pour elle,
De ses premiers regrets, qu'elle ignore l'Auteur.
Vous la plaindrez de perdre un Amant si fidèle,
C'est là le chemin de son coeur.
Qui sait consoler une belle,
Devient aisément son vainqueur.

ÉOLE.
Plus prompt que le tonnerre,
Aux extrémités de la terre,
Mes Aquilons vont le porter.

PALÈS.
Remettez dans mes mains ce Rival redoutable,
Et de l'Aurore inconsolable,
Je prendrai soin de l'écarter.

ÉOLE.
Vous éclairez, et vous calmez mon âme,
À vos sages conseils je dois m'abandonner ;
Je vous laisse le soin de conduire ma flamme,
Du sort de mon Rival, c'est à vous d'ordonner.

(Les Aquilons paraissent.)

Fiers Aquilons soumis à mon obéissance ;
Allez, jusqu'où le jour commence,
Chercher Titon, mon Rival odieux.
Qu'il soit remis sous la puissance
De la Divinité qu'on adore en ces lieux.

(Éole, & le vents partent pour enlever Titon.)

 

Scène VI.

PALÈS.
Quel succès, quel bonheur ! Enfin, rien ne l'égale.
Je fais dans le même moment
Verser des pleurs à ma Rivale,
Je sauve, & j'obtiens mon Amant.
Quel succès, quel bonheur ! Enfin, rien ne l'égale.

Tout favorise dans ce jour
Mes feux & ma vengeance.
Que l'Aurore éprouve à son tour,
Et les tourments de l'absence,
Et les rigueurs de l'Amour.

Tout favorise dans ce jour
Mes feux & ma vengeance.

FIN DU PREMIER ACTE.

 

ACTE SECOND.

Le Théâtre représente une Vallée agréable, le Palais de l'Aurore dans le Lointain, & des Grottes dans un des côtés du Théâtre.

Scène Première.

L'AURORE.
Devais-je Amour de tant de larmes
Payer tes premières douceurs ?
N'ai-je donc goûté tous tes charmes,
Que pour mieux sentir tes rigueurs ?

Un pouvoir jaloux me sépare,
Du seul objet qui me charmait ;
Est-il un destin plus barbare,
Je perds tout ce que j'aime, & tout ce qui m'aimait.
Devais-je Amour, &c.

 

Scène II.

L'AURORE, ÉOLE.

ÉOLE.
L'instant où l'on perd ce qu'on aime
Je le sens bien doit être affreux.
Je ne sais que trop par moi-même,
Ce que peuvent souffrir les Amants malheureux.

L'AURORE.
Rien ne pourra jamais effacer de mon âme,
Le sentiment de mon maleur.
Titon fut constant dans sa flamme,
Je le serai dans ma douleur.

ÉOLE.
Adorable & jeune Immortelle,
Prenez une chaîne nouvelle
Que la Parque a son gré ne puisse briser.

L'AURORE.
Titon n'est plus ! Dieux, que viens-je d'entendre ?
Cruel Amour, aurais-je dû m'attendre
Aux maux que tu vas me causer ?

ÉOLE.
Quel que soit son destin, il n'a que trop de charmes ;
Je porte envie à sa félicité ;
Et je renoncerais à l'immortalité,
Pour être comme lui le sujet de vos larmes.

L'AURORE.
Ah ! laissez-moi gémir en paix.

ÉOLE.
Vous ne le reverrez jamais.

L'AURORE.
Tu m'en réponds perfide, & tu cesses de feindre,
Je dois cesser de me contraindre ;
Je l'aimerai toujours autant que je te hais.

(Elle sort.)

ÉOLE.
Va, tu peux renoncer à cet Amant fidèle,
Objet de tes mépris, je n'écoute plus rien.
C'en est fait, il mourra cruelle,
Je veux rendre ton sort du moins égal au mien.

 

Scène III.

ÉOLE, PALÈS.

PALÈS.
Avez-vous adouci les regrets de l'Aurore ?
Le rendrez-vous sensible à votre ardeur ?

ÉOLE.
Titon triomphe, elle l'adore.
Livrez ce vil berger à toute ma fureur ;

PALÈS.
Avant de l'immoler, consultez votre coeur.

ÉOLE.
Non, mon coeur ne connaît plus qu'une haine implacable.

PALÈS.
N'exigez pas de moi le sacrifice affreux,
Qu'un moment de fureur vous peint trop agréable.
Sans cesser d'être malheureux,
Vous n'en seriez que plus coupable.

ÉOLE.
Vous prétendez en vain le protéger ;
Je saurai bien sans vous le perdre, & me venger.

 

Scène IV.

ÉOLE, PALÈS, VENTS.

ÉOLE.
Vents furieux, sortez de la grotte profonde,
Où mon pouvoir vous tient aux fers.

CHŒUR.
Sortons de la grotte profonde,
Où son pouvoir nous tient aux fers.

ÉOLE.
Sur les pâles humains, que le tonnerre gronde ;
Troublez le sein des mers ;
Qu'à mes commandements votre fureur réponde ;
Ravagez l'Univers ;
Ébranlez, renversez les fondements du monde.

CHŒUR.
Sur les pâles humains, que le tonnerre gronde ;
Troublons le sein des mers ;
Qu'à ses commandements votre fureur réponde ;
Ravageons l'Univers ;
Ébranlons, renversons les fondements du monde.

(On danse.)

ÉOLE, aux Vents.
Partez, & que Titon éprouve ma fureur...

PALÈS, aux Vents, à Éole.
Arrêtez : il temps de vous ouvrir mon coeur.
Ce Rival odieux que poursuit votre rage,
Titon, hélas ! est mon vainqueur.

ÉOLE.
Quoi ! vous l'aimez ! Songez qu'il vous outrage ;
Ah ! loin d'arrêter mon courroux,
Pour le punir, unissons-nous.

PALÈS.
Les Bergers sont soumis à mon obéissance,
Et Jupiter me laisse arbitrer leur sort ;
Mais avant d'exercer sur Titon ma puissance,
Je veux pour l'attendrir faire un dernier effort.

ÉOLE.
Je vois que votre coeur balance ;
De l'Amour méprisé sont-ce là les fureurs ?

PALÈS.
Vous en connaissez les horreurs,
Et vous doutez de ma vengeance ?
Allez, Titon paraît, & je vais en ce jour
Tout tenter pour briser sa chaîne ;
S'il se refuse à mon amour,
Il sentira tout ce que peut ma haine.

 

Scène V.

TITON, PALÈS,
NYMPHES de sa Suite.
FAUNES & SYLVAINS, commis à la garde de Titon.

PALÈS, à Titon.
Berger, je connais vos malheurs,
Et je partage votre peine.

(à sa suite.)

Vous qu'en ces lieux mon ordre amène,
Employez tous vos soins à calmer ses douleurs.
Des charmes de l'Amour vantez-lui la puissance,
Essayez dans vos jeux, de peindre ses douceurs.
Puisse-t-il, en voyant les plaisirs qu'il dispense,
Oublier ses rigueurs.

(On danse.)

UNE NYMPHE, avec le CHŒUR.
L'Amour vous appelle
Pour vous rendre heureux ;
D'une ardeur nouvelle
Ressentez les feux.

Les Ris & les Grâces,
Les tendres Désirs,
Marchent sur les traces
Du Dieu des Plaisirs.

L'Amour vous appelle
Pour vous rendre heureux ;
D'une ardeur nouvelle
Ressentez les feux.

Tout ce qui respire
Chérit ses faveurs ;
Son charmant empire
N'offre que des fleurs.
Qui l'évite
Mérite
Toutes ses rigueurs.

L'Amour vous appelle
Pour vous rendre heureux ;
D'une ardeur nouvelle
Ressentez les feux.

(On danse.)

UNE NYMPHE.
Que je plains les coeurs amoureux,
La constance est un long martyr,
Près d'un objet volage ou rigoureux,
Jeunes coeurs que l'Amour inspire,
Ne prenez du tendre délire,
Que ce qu'il faut pour être heureux.

(On danse.)

UNE NYMPHE.
Ce ruisseau dans la plaine,
Roule en murmurant ses eaux,
Dans la pente qui l'entraîne,
Arrose mille arbrisseaux.

Voyez le Zéphyr volage,
Et le Papillon léger ;
Chaque fleur reçoit l'hommage
De leur amour passager.
L'inconstant, de l'esclavage,
Ne craint jamais le danger ;
Tout dit qu'il faut qu'on s'engage,
Et tout dit qu'il faut changer.

(On danse.)

UNE NYMPHE & LE CHŒUR.
Amour, lance dans nos âmes
Sans cesse de nouveaux traits ;
Plus nous éprouvons tes flammes,
Plus nous goûtons tes bienfaits.
La constance dans la vie,
Ne cause que des soupirs ;
L'inconstance n'est suivie,
Que des jeux & des plaisirs.

Tendres coeurs qu'Amour entraîne
Dans des maux trop rigoureux,
Cherchez dans une autre chaîne
Ce qui peut vous rendre heureux.

(On danse.)

 

Scène VI.

TITON, PALÈS, NYMPHES de sa Suite.
FAUNES & SYLVAINS.

PALÈS, à Titon.
Rien ne peut dissiper l'ennui qui vous dévore,
Et votre coeur se plait à le nourrir.

TITON.
Ah ! Rendez-moi l'Aurore,
Ou laissez-moi mourir.

PALÈS.
C'est trop entretenir une vaine tendresse,
Oubliez jusqu'au nom d'une ingrate Déesse ;
L'Aurore vous trahit, & son volage coeur
Choisit Éole pour vainqueur.

TITON.
Non, rien ne peut éteindre une flamme si belle.
Tendre & constante dans son choix,
Elle m'a juré mille fois
De n'être jamais infidèle.

PALÈS.
Dans le premier feu des amours,
Chaque amant jure de même ;
Au moment heureux où l'on aime,
On croit qu'on aimera toujours.

TITON.
Hélas !

PALÈS.
Cessez d'aimer qui vous outrage,
Dans des noeuds plus constants, que votre coeur s'engage.

TITON.
Est-il maître de s'engager ?
Ainsi que mon malheur, ma constance est extrême.
Ah ! Si l'Aurore a pu changer,
Tout autre changerait de même.

PALÈS.
Savez-vous qui vous refusez ?

TITON.
Je sais qui j'aime,
Et c'est assez.

PALÈS.
Soyez libre, volez vers l'objet plein de charmes
Qui vous fait à mes yeux répandre tant de larmes.
Vous connaîtrez avant la fin du jour,
Quel intérêt je prends à votre Amour.

(Titon sort.)

 

Scène VII.

PALÈS, seule.
Tu vas sentir les effets de ma rage.
Titon, que sur tes sens glacés
La vieillesse terrible exerce son ravage.
Que de tes yeux les rayons effacés
Rencontrent sans le voir l'objet de ton hommage.
Que vos coeurs déchirés, nourris de vains soupirs
Gémissent dans les tristes chaînes ;
Et ne rappellent leurs plaisirs,
Que pour mieux ressentir leurs peines.

FIN DU SECOND ACTE.

 

ACTE TROISIÈME.

Le Théâtre représente le Hameau natal de Titon, & une Fontaine.

Scène Première.

ÉOLE, PALÈS.

ÉOLE.
Avez-vous triomphé du Rival que j'abhorre.

PALÈS.
Mes bienfaits, mon Amour, rien n'a pu l'attendrir ;
L'ingrat n'a prononcé que le nom de l'Aurore.

ÉOLE.
Attendez-vous pour le punir,
Qu'il vous méprise encore ?

PALÈS.
Ne craignez aucun retour,
Je viens de briser ma chaîne.
Je sens mille fois plus de haine,
Que je n'ai ressenti d'amour.

ÉOLE.
Pour le sauver vous cherchez un détour.
Non, je n'écoute plus que la fureur extrême
De mon coeur outragé.
Quand on veut être bien vengé,
Il est plus sûr de se venger soi-même.

PALÈS, montrant Titon endormi.
Connaissez votre erreur.

ÉOLE.
Auriez-vous prévenu ma rage ?

PALÈS.
D'un indigne Rival, voyez l'affreux partage.

ÉOLE.
Mais il respire encore ?

PALÈS.
Pour servir ma fureur.
Il faut que rien n'égale,
Les barbares effets de ma haine fatale :
Je veux qu'à son réveil, les Ombres de la mort,
Ne lui laissent que l'intervalle,
De déplorer les horreurs de son sort,
Et qu'il expire enfin aux yeux de ma Rivale.

ENSEMBLE.
Ah ! Quel plaisir dans nos malheurs,
De causer de vives alarmes.
L'Amour a bien moins de douceurs,
Que la vengeance n'a de charmes.

PALÈS.
L'Aurore va bientôt paraître dans ces lieux ;
Pour l'observer, cachons-nous à ses yeux.

(Ils sortent.)

 

Scène II.

TITON, regardant dans la Fontaine.
Que vois-je ? Suis-je prêt à finir ma carrière ?
Mes pas sont chancelants, je tremble, je pâlis ;
Un nuage effrayant dérobe la lumière
A mes yeux affaiblis.
Par quel charme funeste,
O Parque, de mes ans abrèges-tu le cours ?
Barbare achève, de mes jours
Moissonne par pitié le déplorable reste.
Les maux que tu me fais souffrir
Sont plus cruels que la mort même ;
Ah ! Qu'on est heureux de mourir,
Quand on a perdu ce qu'on aime.

 

Scène III.

TITON, L'AURORE.

L'AURORE.
C'est la voix de Titon, c'est elle que j'entends ;
Que mon coeur est ému de ses tendres accents ;
Titon...

TITON.
Épargnez-vous un spectacle effroyable,
Oubliez, belle Aurore, un Amant misérable
Que les Dieux ont puni de sa fidélité.

L'AURORE.
Quelle injustice, ô Ciel ! Et quelle cruauté ?

TITON.
De mes sens affaiblis, à peine ai-je l'usage ;
Je ne vois plus la lumière des Cieux :
De mes traits effacés par le haine des Dieux,
Je n'ai conservé la plus légère image.
Pouvez-vous reconnaître un objet odieux ?

L'AURORE.
Mon coeur t'a reconnu sans le secours des yeux.

TITON.
Aimé de vous, mon sort était digne d'envie,
Je meurs, je ne méritais pas
Tous les tourments dont ma flamme est suivie.
Ah ! puisque vous donnez des pleurs à mon trépas,
Que je dois regretter la vie !

L'AURORE.
Des destins ennemis je suspendrai les coups...

TITON.
Il vont me séparer de vous.

L'AURORE.
Me séparer de toi ! cher amant que j'adore,
Non, rien ne peut t'arracher à l'Aurore,
Et j'irai s'il le faut, te suivant aux enfers,
Les éclairer pour y porter mes fers.

TITON.
Au-delà du trépas vous me serez fidèle ?

L'AURORE.
Puissant Dieu des amours,
J'implore ton secours ;
Protège une flamme si belle,
Termine mon tourment,
Eh ! que me servira, grand Dieu ! d'être immortelle,
Si je perds mon amant.

(On entend un Prélude.)

 

Scène IV.

L'AMOUR environé de sa Suite, descend dans une Gloire,
TITON, L'AURORE.

L'AMOUR.
Ne craignez plus la jalouse vengeance
De Palès, & du Dieu des Vents ;
Je prends contre eux votre défense,
Et je rendrai leurs efforts impuissants.
Titon va recevoir l'heureuse récompense
Que j'accorde aux parfaits amants.
Puisque j'ai causé ses tourments,
Je veux couronner sa constance.

L'AURORE.
O Ciel !

TITON rajeuni.
Quel Dieu m'anime & me rend la clarté ?

(A l'Amour.)

C'est vous puissant Amour, c'est vous Dieu que j'adore.
Vous deviez ce prodige à ma fidélité,
Et j'en dois l'hommage à l'Aurore.

L'AURORE.
Tendre Amour, charmant vainqueur,
Vous me rendez ce que j'aime.
Rien n'égale mon bonheur,
Je le dois à l'Amour même.

L'AMOUR à Titon.
Le destin dans les Cieux,
Vous place au rang des Dieux.
Votre bonheur, vos flammes mutuelles
N'ont plus de terme limité.
Eh ! qui peut mieux prétendre à l'immortalité
Que les amants fidèles.

De deux parfaits amants, occupez les loisirs,
Chantez aimables Jeux, ma gloire & leurs plaisirs.

 

Scène V.

L'AMOUR, L'AURORE, TITON,
Suite de l'AMOUR.

TITON, L'AURORE & le CHŒUR.
Chantons la gloire & la puissance
Du Dieu qui règne sur les coeurs.
Qu'il triomphe, qu'il lance
Ses traits vainqueurs.

(On danse.)

L'AURORE.
La tourterelle
Tendre & fidèle,
Pour notre coeur
Est un modèle.
Vous que l'Amour appelle,
Aimez comme elle ;
Que votre ardeur
Soit éternelle.

Craignez d'être infidèle
Dans un dépit trompeur,
Une chaîne nouvelle
N'est qu'une douce erreur ;
Une constance mutuelle
Des vrais amants fait le bonheur.

La tourterelle, &c.

(On danse.)

TITON.
Du Dieu des coeurs,
On adore l'empire :
Lui seul avec des fleurs,
Enchaîne tout ce qui respire.

Quand le maître des Dieux
S'annonce sur la terre,
Il fait du haut des Cieux
Eclater son tonnerre.

Du Dieu des coeurs, &c.

(On danse.)

FIN.

Prologue
Acte I
Acte II
Acte III

(*) - Selon les contemporains, le Prologue serait d'Antoine Houdar de la Motte, tandis que les trois actes de la pastorale sont attribués à l'Abbé de la Marre.