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Pénélope
Tragédie lyrique,
en trois actes.

 1785.

Livret de Marmontel
Musique de Piccini




 

 



 


 

Acteurs chantants

PÉNÉLOPE.
THÉONE.
THÉLÉMAQUE.
ULYSSE.
LAËRTE.
EUMÉE.
NÉSUS.
CORIPHÉE.
HUITS POURSUIVANTS DE PÉNÉLOPE.
PEUPLES.

 

ACTE PREMIER.

Le Théâtre représente le Vestibule du Palais d'Ulysse, & au-delà, une Salle où les Poursuivants de Pénélope sont à table.

Scène Première.

PÉNÉLOPE, THÉONE, & autres Suivantes de Pénélope, sur le devant du Théâtre
LES POURSUIVANTS, dans le fond.

CHŒUR DES POURSUIVANTS.
Laissons les Amants de la gloire
Chercher la mort ou la victoire
Dans les climats les plus lointains.
Parmi les jeux & les festins,
Une plus douce ardeur nous presse.
Dieu de l'amour, Dieu de l'ivresse,
Vous présidez à nos destins.

PÉNÉLOPE, les écoutant.
Qui redouble aujourd'hui leur barbare allégresse ?
Ont-ils de nos malheurs des avis plus certains ?

LE CHŒUR.
Dieu de l'amour, Dieu de l'ivresse,
Vous présidez à nos destins.

PÉNÉLOPE.
Vils & lâches tyrans, l'opprobre de la Grèce !

LE CHŒUR.
Dieu de l'amour, &c.

PÉNÉLOPE.
Dans la joie ils nagent sans cesse ;
Et moi, dans la douleur, je sens que je m'éteins.

LE CHŒUR.
Parmi les jeux & les festins,
Dieu de l'amour, Dieu de l'ivresse,
Vous présidez à nos destins.

 

Scène II.

LES DÉPUTÉS du Peuple, & les Précédents.

LES DÉPUTÉS, à Pénélope.
Un Peuple accablé de tristesse,
En soupirant ; vous tend les mains.
Le ferez-vous gémir sans cesse
Sous ces oppresseurs inhumains ?

PÉNÉLOPE, à part.
Peuple asservi, c'est ta faiblesse
Qui fait les maux dont je me plains.

LES DÉPUTÉS.
Cédez aux voeux qu'ils vous adresse :
De vous dépendent ses destins.

PÉNÉLOPE.
Peuple asservi, c'est ta faiblesse
Qui fait les maux dont je me plains.

LES POURSUIVANTS.
Dieu de l'amour, Dieu de l'ivresse,
Vous présidez à nos destins.

(Les Poursuivants se retirent.)

PÉNÉLOPE, aux Députés.
Je connais vos malheurs, & mon coeur les partage.
Si je n'ai plus d'espoir, si mon époux est mort,
Dans un nouvel hymen on veut que je m'engage ;
Au retour de mon fils, je subirai mon sort :
Ne m'en demandez pas davantage.

(Les Députés se retirent.)

 

Scène III.

PÉNÉLOPE, et sa Suite.

PÉNÉLOPE.
Dieux justes, Dieux vengeurs, nous abandonnez-vous ?
Ah ! rendez-moi mon fils, rendez-moi mon époux.

AIR.
Reine captive,
Mère craintive,
Épouse en pleurs,
A quels malheurs
Le ciel me livre !
Cesse,z cruels, de me poursuivre,
Ou je succombe à mes douleurs.
Reviens, mon fils, reviens ;
Tes dangers sont les miens.
Si tu péris sur l'onde,
Quel sera mon soutien ?
Rends à ta mère le seul bien
Qui lui reste encor dans le monde.
Reviens, mon fils, reviens :
Tes dangers sont les miens.

 

Scène IV.

NÉSUS, PÉNÉLOPE, & sa Suite.

NÉSUS.
Tremblez, Reine, tremblez que ce voeux s'accomplisse.
Le piège de la mort attend le fils d'Ulysse :
S'il revient, s'il aborde, il périt sous les flots.

PÉNÉLOPE.
Télémaque !

NÉSUS.
Témoin du plus noir des complots,
Je n'en veux pas être complice ;
Et je n'attends qu'un vent propice,
Pour me ramener à Délos.

PÉNÉLOPE.
Vous laissez périr Télémaque !

THÉONE.
Vous, le seul de vingt Rois qui font gémir Ithaque,
Le seul dont Pénélope attendait du secours !

NÉSUS.
De ses calamités j'allais trancher le cours ;
Tout a changé. Son coeur à mes voeux se refuse :
Ses délais, ses détours me l'ont trop bien appris.
Je ne veux plus nourrir un espoir qui m'abuse.
De son malheur elle m'accuse ;
Qu'elle en accuse ses mépris.

THÉONE.
Quel amour !

NÉSUS.
Dans un coeur généreux & sincère,
L'amour trompé se change en dépit mortel.
Mais si c'est en moi qu'elle espère,
Pour rendre à Télémaque un défenseur, un père,
Elle n'a qu'à vouloir : je l'attends à l'autel.

(Il sort.)

 

Scène V.

PÉNÉLOPE, THÉONE, & autres Suivantes.

PÉNÉLOPE.
O crime ! ô noirceur détestable !
Dans ce péril épouvantable,
Que résoudre ? à qui recourir ?
Mon fils, je suis réduite au choix inévitable
Ou de trahir ton père ou de te voir périr.

CHŒUR de Femmes.
O malheureuse mère !
Votre fils va périr.

PÉNÉLOPE.
O malheureuse mère !
A quel Dieu recourir ?
Hélas ! si je diffère,
Mon fils, tu vas mourir.
Dois-je trahir ton père ?
Dois-je te voir périr ?

LE CHŒUR.
O malheureuse mère !
Votre fils va périr.

PÉNÉLOPE.
O malheureuse mère !
A quel Dieu recourir ?
Il me reste un espoir : c'est qu'un vent secourable,
Ou plutôt un Dieu favorable
S'oppose à son retour, & l'éloigne du port.
Héla ! où me réduit le sort !
Ce retour, ce moment pour moi si désirable,
M'épouvante plus que la mort !

 

Scène VI.

EUMÉE, & les Précédents.

THÉONE.
Eumée, en ces lieux qui t'amène ?

EUMÉE.
Le Ciel est touché de nos pleurs.
Télémaque revient.

PÉNÉLOPE.
Dieux !

EUMÉE.
Sur l'humide plaine,
J'ai de ses pavillons reconnu les couleurs.

PÉNÉLOPE.
O jour funeste !... je me meurs.

(Elle tombe dans les bras de ses Femmes.)

THÉONE.
Allez, ami sage & fidèle,
D'une barque légère empruntez le secours ;
Eloignez Télémaque : il y va de ses jours.

EUMÉE.
Ses jours sont menacés.

THÉONE.
Dans sa frayeur mortelle,
La Reine a vous seul a recours.

EUMÉE.
Hélas ! pour lui que peut mon zèle,
Dans un péril si grand, & des instants si courts !

(Il sort.)

 

Scène VII.

PÉNÉLOPE, & ses Femmes.

PÉNÉLOPE, dans le trouble et l'effroi.
C'en est fait. La mort l'environne.
Nésus pouvait seul aujourd'hui
Le sauver, le défendre ; & Nésus l'abandonne !
Ah ! s'il est temps encor, va, va ma chère Théone,
Implorer son appui.
Qu'il délivre mon fils, qu'il le rende à sa mère ;
C'en est assez : pour prix d'une tête si chère,
Je m'engage, ou plutôt je m'abandonne à luii.

(Théone sort.)

 

Scène VIII.

PÉNÉLOPE, sa Suite.

LE CHŒUR.
Du sein des plus tristes alarmes,
Voyez renaître de beaux jours.
L'Hymen, conduit par les Amours,
Aura bientôt séché vos larmes.
Du sein des plus tristes alarmes,
Voyez renaître de beaux jours.

(Pendant le Choeur, Pénélope reste absorbée dans sa douleur.)

PÉNÉLOPE.
Qu'ai-je promis ? ah ! malheureuse !
Ou mon époux respire, ou son ombre m'entend
Du sein de la nuit ténébreuse !
Entre l'autel & moi, je la vois qui m'attend.

AIR.
Oui, je la vois, cette ombre errante :
C'est elle-même ; oui, je la vois.
Elle est plaintive & gémissante ;
Elle est terrible & menaçante.
Chère ombre, approche, apaise-toi.
Je t'ai juré d'être à jamais fidèle,
Je l'ai juré dans nos adieux ;
Et de ma constance éternelle
J'ai pris à témoin tous les Dieux.
Mais si je ne suis criminelle,
Ton fils va périr à mes yeux.

 

Scène IX.

PÉNÉLOPE, sa SUITE, les POURSUIVANTS.

PÉNÉLOPE.
Qui de vous, qui de vous, perfides,
S'apprête à me percer le sein ?
Teints du sang de mon fils, dont vous êtes avides,
De sa mère aujourd'hui quel sera l'assassin ?

LE CHŒUR.
Qui peu nous imputer ce coupable dessein ?

PÉNÉLOPE.
Qui, sacrilèges que vous êtes,
Oui, vous l'avez conçu ce forfait odieux,
Au sein de vos barbares fêtes,
Dans le Palais d'Ulysse, à l'aspect de ses Dieux.

LE CHŒUR.
L'effroi mortel
Qui règne dans votre âme,
Peut dans l'instant se calmer à l'autel.
Entre vingt Rois,
Que même ardeur enflamme,
Faites un choix ;
Vos voeux seront nos lois.

PÉNÉLOPE, vivement.
Qu'on me rende mon fils, que lui-m^me il m'annonce,
Qu'Ulysse est descendu dans la nuit du tombeau ;
A lui garder ma foi désormais je renonce,
Et je vais de l'Hymen rallumer le flambeau.

LE CHŒUR.
Non, non, c'est une feinte,
C'est un nouveau détour.

PÉNÉLOPE.
Hélas ! encore un jour.

LE CHŒUR.
Non, non, c'est une feinte.

PÉNÉLOPE.
O mortelle contrainte !

LE CHŒUR.
C'est un nouveau détour.

PÉNÉLOPE.
Vous me glacez de crainte.

LE CHŒUR.
Cédez, cédez sans crainte ;
Au plus ardent amour.

PÉNÉLOPE.
Vous me glacez de crainte ;
Et vous parlez d'amour !

LE CHŒUR.
Cédez, &c.

PÉNÉLOPE.
Faut-il, pour combler ma misère,
Vous livrer mes Etats, mon Palais, mes trésors ;
Qu'une barque à l'instant m'éloigne de ces bords.
J'irai chez Icare, mon père
Oublier tous les biens que vous m'aurez ravis.
Seulement, avec moi j'emmène mon fils :
C'est le seul trésor d'une mère.

LE CHŒUR.
Nommez l'époux que votre coeur préfère,
Et dans l'instant vos larmes vont tarir.

CHŒUR DE FEMMES.
O malheureuse mère !
Votre fils va périr.

PÉNÉLOPE.
O malheureuse mère !
C'est à moi de mourir.

(Un trait de Symphonie annonce l'arrivée de Télémaque.)

Dieux ! mon fils !

(Elle se précipite dans ses bras.)

 

Scène X.

TÉLÉMAQUE, EUMÉE, les Précédents.
PEUPLE D'ITHAQUE.

TÉLÉMAQUE.
Enfin, Reine auguste,
Nos malheurs vont finir : Ulysse n'est pas loin.

PÉNÉLOPE.
IL est vivant !

TÉLÉMAQUE.
Le Ciel est juste ;
Et des jours d'un Héros lui-même il a pris soin ;

AIR.
Couvert de l'Egide immortelle,
Il va rentrer dans ses Etats.
L'injure insolente & cruelle
Va voir punir ses attentats.
Dans la terreur & le silence
Que tout s'abaisse devant lui.
Loin de nous, coupable licence.
Rassure-toi faible innocence :
Les Dieux te rendent ton appui.

CHŒUR DES POURSUIVANTS, à part.
Jeune imprudent, ton espérance
Sera confondue aujourd'hui.

PÉNÉLOPE.
Dieux protecteurs de l'innocence,
Vous vous déclarez aujourd'hui.

CHŒUR DU PEUPLE.
Aux doux rayons de l'espérance
Nos coeurs sont ouverts aujourd'hui.

TÉLÉMAQUE.
Rassure-toi, faible innocence :
Les Dieux te rendent ton appui.

CHŒUR DES POURSUIVANTS.
Jeune imprudent, ton espérance
Sera confondue aujourd'hui.

FIN DU PREMIER ACTE.

 

ACTE SECOND.

Le Théâtre représente un Hameau, où l'on distingue le vieux Château de Laërte & la Maison d'Eumée. On voit la Mer dans l'éloignement.

Scène Première.

LAËRTE, EUMÉE, quelques PASTEURS.

EUMÉE.
Cessez, vénérable Laërte,
Cessez de gémir sur la perte
D'un fils si longtemps attendu.
Il respire, il revient.

LAËRTE.
L'ai-je bien entendu ?
Avant de quitter la lumière,
J'embrasserai mon fils ! C'en est assez, grands Dieux.
Sans regret chez les morts je joindrai mes aïeux,
Si la main de mon fils me ferme la paupière.
Que de maux son absence a causés dans ces lieux !
Mais à son épouse fidèle
Qui vient de son retour annoncer la nouvelle ?

 

Scène II.

TÉLÉMAQUE, & les Précédents.

TÉLÉMAQUE.
Moi, Seigneur !

LAËRTE.
Ciel ! que vois-je ? en croirai-je mes yeux ?
Cher Prince, objet de ma tendresse,
Dans mes bras défaillants est-ce que je vous presse ?
A combien de périls je vous vois échappé !

(Vivement.)

Du retour de mon fils avez-vous l'assurance ?
Une trop légère espérance
Ne vous a-t-elle point trompé ?

TÉLÉMAQUE.
Il revient. Les Dieux & les hommes,
Tout conspire à me l'assurer.

LAËRTE, triste & tendre.
Qu'il vienne donc sans différer.
Hélas ! dans l'état où nous sommes,
Je n'ai plus le temps d'espérer.

AIR.
De ma vieillesse languissante
Je vois s'éteindre le flambeau.
Je touche au bord de mon tombeau ;
Et pour moi plus de longue attente.
O mort ! sois du moins assez lente,
Pour me laisser un jour si beau.

 

Scène III.

Foule de PASTEURS, & les Précédents.

LAËRTE, vivement.
Venez, Pasteurs, venez féliciter un père.
De vingt ans de malheur je serai consolé.
Le ciel me rend un fils ; on veut que je l'espère.

UN PASTEUR.
Le bruit de son retour jusqu'à nous a volé.

LE CHŒUR, à Télémaque.
Prince adoré, quelle allégresse
Dans tous les coeurs vous répandez !
Ulysse a paru dans la Grèce ;
Et sur ces bords vous l'attendez !

LAËRTE, avec le Choeur.
A leur amour, à ma tendresse,/A notre amour à sa tendresse,
Dieu bienfaisants, vous le rendez.

(Les Pasteurs expriment leur joie par des Danses. La Symphonie annonce l'approche d'un orage. Le Théâtre s'obscurcit.)

EUMÉE, à Télémaque.
Prince, on aperçoit du rivage
Un Vaisseau battu par les flots,
Et la frayeur des Matelots
Annonce un violent orage.

(La Symphonie exprime le progrès de l'orage.)

LE CHŒUR.
Quel bruit dans les airs !
Les flots y répondent ;
Déjà se confondent
Les cieux & les mers.
Sur l'onde écumante,
Dieux ! quelle tourmente !
Quelle sombre horreur !
Au bruit du tonnerre,
Les vents en fureur
Se livrent la guerre.
Le ciel sur la terre
Répand la terreur.

TÉLÉMAQUE.
QUe je plains le sort
De tant de victimes !

EUMÉE.
D'immenses abîmes
Leur offrent la mort.

TÉLÉMAQUE.
O Dieu ! si mon père
Courait ce danger !

LAËRTE.
O Dieux, si ton père
Courait ce danger !

EUMÉE.
O Dieux ! si son père
Courait ce danger !

LES TROIS.
Neptune en colère
Les va submerger.

LE CHŒUR, avec les Précédents.
QUels cris lamentables !
Quel funeste bruit !
La vague indomptable
Les brise & s'enfuit.

(Tous se retirent.)

(Le Théâtre change & représente la grotte des Nymphes de la mer.)

 

Scène IV.

ULYSSE, seul.
Tout a péri. Sur quel rivage
Me jettent les vents furieux ?
Seul, errant, désarmé, chez un Peuple sauvage,
Vais-je trouver ici la mort ou l'esclavage ?
Que vois-je ? En croirai-je mes yeux ?
Tout me rappelle Ithaque. Oui, ce beau lieu ressemble
A cette grotte, où, sur nos bords,
Le Choeur des Nymphes se rassemble,
Et fait retentir l'air de ses divins accords.

(Il se retire à l'approche des Nymphes.)

 

Scène V.

ULYSSE, LES NYMPHES.

ULYSSE.
O Nymphes ! rassurez ma timide espérance.
Hélas ! si j'en crois l'apparence,
Ici pour vous cent fois j'ai fait brûler l'encens.

UNE NYMPHE.
Et qui ne connaît pas les bords où tu descends !
Le nom d'Ithaque & sa gloire
Sont portés par la victoire
Jusqu'aux plus lointains climats.

ULYSSE.
Belle Nymphe, est-il vrai ? ne me flattez-vous pas ?
Et suis-je en effet dans Ithaque ?
Laërte, Pénélope, & son fils Télémaque,
Sont-ils vivants ? Sont-ils paisiblement unis ?

LA NYMPHE.
La violence & l'injustice
Menacent la mère & le fils.

CHŒUR DE NYMPHES.
Va les revoir, prudent Ulysse.
Dissimule, observe, & punis.

LA NYMPHE.
Minerve a sur ton front imprimé la vieillesse,
Pour tromper les yeux de ta Cour.

LE CHŒUR.
Arme-toi d'un coeur sans faiblesse ;
Et surtout, défends-toi des larmes de l'amour.

 

Scène VII.

ULYSSE, seul.

AIR.
Quel malheur m'est prédit encore ?
N'ai-je donc pas assez souffert ?
Pénélope, ô toi que j'adore !
Et toi, mon fils, à ton aurore,
Loin de moi, sous pas quel abîme s'est ouvert ?
Quel malheur m'est prédit encore ?
N'ai-je donc pas assez souffert ?

Ithaque ! ô ma douce patrie !
Je n'ai soupiré que pour toi.
Je te revois, Ile chérie,
Et je ne puis te voir sans effroi !
J'échappe à la mer en furie,
Le calme enfin renaît pour moi ;
Je te revois, Ile chérie,
Et je puis te voir sans effroi.
Quel malheur, &c.

Qui vient à moi sur ce rivage ?

 

Scène VIII.

ULYSSE, TÉLÉMAQUE, EUMÉE.

TÉLÉMAQUE.
N'est-ce pas vous, digne Etranger,
Qu'on a vu sur ce bord jeté par le naufrage ?
Ah ! de cet horrible danger
C'est quelque Dieu qui vous dégage.

ULYSSE.
Oui, jeune homme, oui, des Dieux ce prodige est l'ouvrage ;
Et tout malheureux que je suis,
Je ressens leurs bienfaits autant que je le puis.

TÉLÉMAQUE.
Hâtez-vous de calmer nos mortelles alarmes.
Sur ce vaisseau brisé par les vents en courroux,
Un héros, l'objet de nos larmes,
Ulysse était-il avec vous ?

ULYSSE.
Je sais qu'il voguait vers Ithaque.

TÉLÉMAQUE.
Les Dieux l'en ont-ils éloigné ?

ULYSSE.
C'est donc ici qu'il a régné ?

TÉLÉMAQUE.
Vous voyez son fils Télémaque.
Vous voyez son fidèle ami.

ULYSSE.
Vous son fils !

TÉLÉMAQUE.
Ah ! parlez. Votre coeur a gémi.

ULYSSE.
Hélas ! quelle atteinte mortelle
Je porte à vos sensibles coeurs !
Votre mère y survivra-t-elle ?
Il est...

TÉLÉMAQUE.
N'achevez pas. Je vois tous nos malheurs.

EUMÉE.
Il est donc vrai ! les Dieux ont terminé sa vie.

TÉLÉMAQUE.
Toute espérance m'est ravie.
Ma trop faible jeunesse attendait tout de lui ;
Et parmi les dangers dont elle est poursuivie,
Me voilà désormais sans guide et sans appui !

ULYSSE, à part.
Moment délicieux ! bonheur digne d'envie !

EUMÉE.
Eh quoi ! le seul de ses Vaisseaux
Qui des vents & des mers eût défié la rage,
Vient se briser sur ce rivage ;
Et mon malheureux Maître y périt sous les eaux !

ULYSSE.
Sans faiblesse & sans crainte il a vu le naufrage,
Et d'un oeil intrépide il a bravé la mort.
Mais, hélas ! que peu le courage
Contre l'ordre des Dieux & les arrêts du sort.

TRIO.

TÉLÉMAQUE.
O mon père !

EUMÉE.
O mon Maître !

TÉLÉMAQUE.
Sort cruel !

EUMÉE.
Jour affreux !

(Les deux ensemble.)

Qui sera donc heureux ?
Ulysse n'a pu l'être.

ULYSSE, à part.
Ah ! quel père, ah ! quel maître
Fut jamais plus heureux ?

TÉLÉMAQUE.
J'ai perdu mon modèle,
J'ai perdu mon appui.

EUMÉE.
Son épouse fidèle
Ne vivait que pour lui.

ULYSSE.
Quel bonheur, auprès d'elle,
L'attendait aujourd'hui !

TÉLÉMAQUE & EUMÉE.
Il n'en est plus pour elle,
Il n'en est plus sans lui.

ULYSSE.
Il est heureux encore,
S'il vit dans tous les coeurs.

TÉLÉMAQUE & EUMÉE.
S'il vit dans tous les coeurs !
En doutez-vous encore,
Vous, qui voyez nos pleurs ?
C'est Dieu qu'on adore.

ULYSSE, à part.
Je sens couler mes pleurs.

EUMÉE.
Au yeux de la Reine
Comment nous offrir ?

TÉLÉMAQUE.
O Dieux ! quelle peine
Son coeur va souffrir !

ENSEMBLE.
Témoin trop fidèle
De notre malheur,
Par pitié pour elle,
Trompez sa douleur.

ULYSSE, à part.
Mon âme chancelle
Un trouble vainqueur
M'égare, & décèle
Le fond de mon coeur.

(Fin du Trio.)

Ouvre les yeux mon cher Eumée.

EUMÉE .
Qu'entends-je ? à cette voix mon âme accoutumée...
Télémaque ! ô Dieux  bienfaisants !...
Mais non, ce n'est pas lui : cette vieillesse extrême,
Ces cheveux blanchis par les ans...

ULYSSE.
C'est lui, c'est Ulysse lui-même.

TÉLÉMAQUE.
(Frappé d'étonnement & transporté de joie.)
Mon père !

ULYSSE.
En vain Minerve a voulu me cacher
Sous les traits de la vieillesse.
Viens, reconnais ton père aux larmes de tendresse
Que la joie & l'amour viennent de m'arracher.

TÉLÉMAQUE, dans les bras d'Ulysse.
Mon père !... Enfin je vois l'auteur de ma naissance.

ULYSSE.
Modérons ces transports, & gardons le silence.
Avant d'annoncer mon retour,
Mon inquiète vigilance
Veut tout observer dans ma Cour.

EUMÉE.
Ah ! de nos fiers Tyrans craignez la violence.

ULYSSE.
Vos Tyrans !

EUMÉE.
Sous vingt Rois, vos indignes rivaux,
Ithaque gémit opprimée.
Pénélope tremblante, & d'ennuis consumée,
Les voir livrés sans cesse à mille excès nouveaux.

ULYSSE, à part.
Ah ! de mes traits vengeurs que ma main soit armée ;
Et je vais par leur mort couronner mes travaux.
Mon fils, le danger m'environne ;
Que ferez-vous pour moi ?

TÉLÉMAQUE, vivement.
Commandez. Mille morts,
Mon père, à vos côtés n'ont plus rien qui m'étonne.
J'en atteste les Dieux & le sang dont je sors.

ULYSSE.
Si nous sommes aimés, nous serons assez forts.
Le bruit de mon trépas, que nous allons répandre,
Ces cheveux blancs, ces traits, que Minerve a changés,
Ces Rois, dont l'imprudence est facile à surprendre,
Mon fils, tout me réponds que nous serons vengés.

AIR.
Que sous un voile impénétrable
La vengeance marche à pas lents.
Vous périrez, troupe exécrable,
Et tous mes coups seront sanglants.
N'offrons à leurs yeux insolents
Qu'un vieillard faible & misérable.
Que sous un voile impénétrable
La vengeance marche à pas lents.

ULYSSE, TÉLÉMAQUE & EUMÉE.
Que sous un voile impénétrable
La vengeance marche à pas lents.
Vous périrez, troupe exécrable,
Et tous mes coups seront sanglants.

FIN DU SECOND ACTE.

 

ACTE III.

Le Théâtre représente une salle du Palais d'Ulysse.

Scène Première.

ULYSSE, TÉLÉMAQUE.

ULYSSE.
Va-t-elle enfin paraître ?

TÉLÉMAQUE.
Elle vient sur mes pas.

ULYSSE.
Je veux être seul avec elle :
Laissez-nous, & de mon trépas
Faites répandre la nouvelle.

TÉLÉMAQUE.
Vous allez déchirer ce coeur tendre & fidèle.

ULYSSE.
Mon fils, obéissez, & ne balancez pas.

 

Scène II.

ULYSSE, seul.
Que n'ai-je pas souffert, de lui voir, en silence,
Endurer de ces Rois le faste humiliant !
Que n'ai-je pas souffert, de voir leur insolence
Insulter au malheur d'un vieillard suppliant !

AIR.
Ah ! que la prudence est pénible,
Entre la colère & l'amour !
Quel tourment pour un coeur, d'étouffer tour à tour
Une fureur brûlante, une pitié sensible !
Vingt fois mes yeux se sont couverts
Comme d'un nuage de larmes ;
Et vingt fois j'ai frémi de n'avoir pas mes armes
Pour exterminer ces pervers.

Ne vas pas oublier les conseils de Minerve.
Ulysse ! on t'écoute, on t'observe.
Du grand art de dissimuler,
Voici l'instant de faire usage.
Commande à tes regards, compose ton visage,
Défends à tes pleurs de couler.
Le voici. Quel moment ! Et que vais-je lui dire ?

 

Scène III.

ULYSSE, PÉNÉLOPE, Femmes de sa Suite.

PÉNÉLOPE.
Approchez. Je respecte l'âge & le malheur.
Vous nous voyez dans la douleur ;
Mais nos maux vont finir, dès qu'Ulysse respire.
Il est donc parti de Corcyre ?
Vous l'avez-vu ?

ULYSSE.
J'ai dit la simple vérité.

PÉNÉLOPE.
N'a-t-on rien appris de sa bouche
Qui l'intéresse, & qui me touche ?

ULYSSE.
Je sais qu'il a souffert la dure adversité ;
Je sais que loin de sa patrie,
De périls en périls longtemps précipité,
Dans l'horreur des combats, sur les mers en furie,
Jamais votre image chérie
Un seul moment ne l'a quitté.

PÉNÉLOPE.
Ah ! combien je serais coupable,
Si, loin de lui, mon coeur avait été capable
D'un moment de tranquillité !

AIR.
Je n'ai cessé de voir Ulysse
Depuis l'instant de nos adieux ;
Et ses dangers, pour mon supplice
Se sont tous offerts à mes yeux.
Les vents, les eaux, le fer, la flamme,
Tout ce qui d'un mortel peut menacer les jours,
Portait la terreur dans mon âme.
J'espérais quelquefois, mais je craignais toujours.

ULYSSE.
Plus la gloire est pénible & plus elle a de charmes ;
Ulysse en jouit quelquefois.
Sur le tombeau d'Achille, au milieu de vingt Rois,
D'Achille au fier Ajax il disputa les armes.

PÉNÉLOPE.
Et dès qu'on entendit son éloquente voix,
Il triompha sans doute ?

ULYSSE.
Il fit couler des larmes,
Et les coeurs attendris  reconnurent ses droits.

PÉNÉLOPE.
Vous ne m'étonnez pas : mon Ulysse possède,
Dans l'art d'intéresser, un charme à qui tout cède.

ULYSSE.
Sous les murs d'Ilion, que la cendre a couverts,
Compagnon des Héros, il obtint leur estime ;
Mais de nouveaux dangers l'attendaient sur les mers.
De Scylla, de Charibde, il vit l'affreux abîme.

PÉNÉLOPE.
O dieux !

ULYSSE.
Les flots bruyants l'ont porté sur leur cime,
Entre ces deux gouffres ouverts.

PÉNÉLOPE.
Ah ! ses périls passés me font frémir encore.

ULYSSE.
La fille du Soleil, Circé, qui fait pâmir
Le jour que ce Dieu fait éclore,
Vit Ulysse en danger & daigna l'accueillir.

PÉNÉLOPE.
Circé !

ULYSSE.
Par une douce ivresse,
La perfide essaya d'obscurcir sa raison ;
Mais de la coupe enchanteresse
Ulysse évita le poison.

PÉNÉLOPE.

AIR.
Tu savais combien ma tendresse
Devait souhaiter ton retour,
Mon cher Ulysse ! & la sagesse
Te préserva moins que l'amour.

ULYSSE.
Plus sincère & plus dangereuse,
Calypso, dans son île heureuse,
Invitait votre époux à l'immortalité.

PÉNÉLOPE.
Ah ! comment résister au charme d'une amante,
Qui propose un tel prix à l'infidélité !

ULYSSE.
Un séjour enchanteur, une Nymphe charmante,
Le sort des Dieux, pour vous Ulysse a tout quitté.

PÉNÉLOPE.
Je fais mon bonheur de le croire :
Le doute serait trop cruel.
Non, non, d'un amour mutuel
Il n'a point perdu la mémoire.
Non le plus sage des mortels
N'aura point trahi les autels,
Sa foi, mon amour & sa gloire.
Je fais mon bonheur de le croire
Le plus fidèle des mortels.

 

Scène IV.

PÉNÉLOPE, ULYSSE, LES POURSUIVANTS,
TÉLÉMAQUE,EUMÉE, NÉSUS,
Suivantes de Pénélope.

NÉSUS.
D'Ulysse enfin le sort funeste
N'est plus douteux : il est descendu chez les morts.

PÉNÉLOPE.
Qu'osez-vous dire ?

LE POURSUIVANT.
Il vient de périr sur ces bords ;
Et cet étranger nous l'atteste.

PÉNÉLOPE.
Lui !

ULYSSE, à Nésus.
Cruel ! ah ! pourquoi dissiper son erreur ?

PÉNÉLOPE.
Ulysse est mort !

ULYSSE.
Je suis le déplorable reste
De son vaisseau brisé par les vents en fureur.

PÉNÉLOPE.
Vieillard, à m'accabler peut-être on vous engage.
Déjà pour complaire à ces Rois,
Des étrangers, plus d'une fois,
M'ont tenu le même langage.
L'homme, dans le malheur, est si faible à votre âge ;
Et sur lui la crainte & l'espoir
Ont quelquefois tant de pouvoir !
Intimidé, séduit, par ces Rois, peut-être,
Sans le vouloir, vous conspirez.
Ah ! vous ne savez pas quel coeur vous déchirez.
Si ce n'est qu'une erreur, faites-la moi connaître.
Il est temps encore. Ma vie, ou mon trépas
Dépend de vous, n'en doutez pas :
Un mot, un seul mot en décide.
Je vous vois attendri ; vous semblez me cacher
L'horreur que vous inspire une trame perfide.
Vous le plaignez, ce coeur que l'on veut m'arracher.
Par pitié de mes jours, que vous allez trancher,
Parlez. Ici des Dieux la majesté réside :
Vous n'avez sous leur yeux nul danger à courir.
Soyez sincère en assurance.
Ulysse est-il vivant ? Ma débile espérance
Doit-elle revivre ou mourir ?

ULYSSE.
(bas.)
O dieux ! soutenez mon courage.

(haut.)
Reine, vous insultez à mon abaissement.

PÉNÉLOPE.
Bon vieillard, pardonnez : je vous fais un outrage ;
Cependant, je l'avoue, un confus mouvement,
Contre vous, dans mon coeur, s'élève obstinément.
J'interroge vos yeux, vos traits, votre langage,
Tout m'y peint la candeur : Eh bien, dans ce moment,
Je ne sais quelle voix en secret vous dément.
C'est-là pour moi, peut-être, un bien faible présage !
Mais cent fois alarmée, & toujours vainement,
A vous croire aujourd'hui, quelle preuve m'engage ?

ULYSSE.
Hélas, que vos doutes sont vains ;
Et qu'il m'est bien aisé d'éclaircir ce nuage !
Reine, de votre foi reconnaissez le gage
Qu'Ulysse a laissé dans mes mains.

PÉNÉLOPE.
L'anneau d'Ulysse ! ô Dieux ! ô sort impitoyable !
Ainsi de mon malheur je ne puis plus douter !

ULYSSE.
Ah ! pour vous l'annoncer, ce malheur effroyable,
Croyez qu'il a dû m'en coûter.

PÉNÉLOPE.

AIR.
Il est affreux, il est extrême,
IL n'est connu que de mon coeur.
Qui n'a pas aimé comme j'aime,
Ne peut concevoir mon malheur.
Tant que la plus faible apparence
Put me flatter dans ma souffrance,
La vie eut pour moi des appas ;
Mais un malheur sans espérance,
N'est qu'un pénible & long trépas.
Il est affreux, &c.

TÉLÉMAQUE.
Dieux ! elle succombe. Ma mère !

(La tenant dans ses bras, & regardant Ulysse.)

Il n'est donc plus d'espoir.

PÉNÉLOPE.
Que veux-tu que j'espère ?
Il a vu son naufrage, & tu l'as entendu.
Non, je n'ai plus d'époux, non, tu n'as plus de père.
Mon fils, nous avons tout perdu.

O ciel ! de la vertu c'est donc là le partage !
Après tant de dangers qu'il venait de courir
Aux bords qui l'ont vu naître il est venu périr.
Allez, Eumée, allez, parcourez ce rivage
Et parmi les débris rejetés par les flots,
Faites recueillir sur la plage
Les restes sacrés d'un Héros.
Qu'à l'honorer du moins ma douleur se soulage.

(Eumée sort.)

Vous, mon fils, qu'à son ombre on élève un tombeau :
Il sera tous les jours arrosé de mes larmes.

ULYSSE.
Prince, n'oubliez pas d'y suspendre ses armes.

PÉNÉLOPE.
Hélas ! c'est pour sa gloire un trophée assez beau.

(Aux Poursuivants.)

Et vous, qui jouissez du malheur qui m'accable,
Puisqu'enfin le ciel implacable
A des liens si chers me force à renoncer,
Au pied de ce tombeau que mon peuple se rende :
C'est-là que je veux qu'on entende
Ce que j'ai promis d'annoncer.

CHŒUR DE POURSUIVANTS.
Reine, le destin vous commande :
Il n'est plus temps de balancer.

(Les Poursuivants se retirent.)

 

Scène V.

ULYSSE, PÉNÉLOPE, Femmes de sa Suite.

ULYSSE.
Qu'avez-vous résolu ?

PÉNÉLOPE.
Ma mort ; j'y suis réduite.
C'est mon unique espoir, & j'y veux recourir.

CHŒUR DES FEMMES.
O Dieux ! vous êtes mère, & vous voulez mourir !

PÉNÉLOPE.
Je veux me délivrer d'une affreuse poursuite.

ULYSSE.
Un fils vous reste encor : il peut vous secourir.

PÉNÉLOPE.
Dans les bras de sa mère, hélas ! on le menace.

ULYSSE.
On le menace !

PÉNÉLOPE.
Et c'est pour lui
Qu'on me fait trembler aujourd'hui.

ULYSSE, d'un ton imposant.
Du bonheur des méchants le ciel enfin se lasse.
Vous verrez tomber vos tyrans.

PÉNÉLOPE, étonnée.
Et quel Dieu fera ce miracle.

ULYSSE, d'un air inspiré.
Ulysse l'a prédit ; croyez en cet oracle :
L'avenir se dévoile aux regards des mourants.
Vivez, Reine, vivez, il l'ordonne lui-même.
Oui, je viens révéler la volonté suprême :
Elle fera trembler vos tyrans odieux.

PÉNÉLOPE.
Ah ! quel trouble inconnu vous jetez dans mon âme !
Sous les traits d'un mortel, êtes-vous l'un des Dieux ?

ULYSSE.
Tout mortel que je suis, je prédis qu'à vos yeux,
Va bientôt, comme un trait de flamme,
Partir la vengeance des cieux.

PÉNÉLOPE.
Oui, c'est quelque Dieu qui l'inspire :
Je ne saurais plus en douter.

ULYSSE.
Suivez-moi donc sans hésiter,
Et ce que j'ose vous prédire,
Venez le voir s'exécuter.

(Ils sortent ensemble.)

 

Scène VI.

Le Théâtre représente une place publique, le tombeau d'Ulysse au milieu.

TÉLÉMAQUE,EUMÉE, PEUPLE d'Ithaque.

CHŒUR DE PEUPLE.
Pleurons le plus sage des Rois ;
Le monde est rempli de sa gloire.
Nous ne vivrons plus sous ses lois.
De ses vertus, de ses exploits
Gardons à jamais la mémoire.
Nous ne vivrons plus sous ses lois.

 

Scène VII.

PÉNÉLOPE, ULYSSE, LES POURSUIVANTS,
& les Acteurs précédents.

PÉNÉLOPE.
Fils d'Ulysse, & vous peuple, un vieillard vénérable,
Témoin de son sort déplorable,
Vient porter à nos coeurs les plus sensibles coups.
IL a reçu, dit-il, sa volonté suprême,
Qu'il vient m'annoncer devant vous.
Il n'est rien sous le ciel de plus sacré pour nous.
Mais je veux, par serment, qu'il l'atteste, là-même,
Sur le tombeau de mon époux.

ULYSSE.
(Après avoir monté les degrés du tombeau, sur lequel il pose la main.)
Oui, j'atteste des morts les tyrans inflexibles,
Et le tombeau d'Ulysse, & ses armes terribles,
Qu'il n'a pu sans frémir, vous savoir en danger,
Qu'il a plaint vos malheurs, & qu'il vient les venger.

PÉNÉLOPE, LES POURSUIVANTS, LE PEUPLE.
Ciel !

ULYSSE, aux Poursuivants.
Tremblez, malheureux, reconnaissez Ulysse.

CHŒUR GÉNÉRAL.
Ulysse ! ô Dieux !

ULYSSE, à son fils & au Peuple d'Ithaque.
Pour leur supplice,
Armez-vous, armez-vous.

(Il leur distribue des armes.)

CHŒUR DU PEUPLE ET DES POURSUIVANTS.
Armons-nous, armons-nous.

(Les Poursuivants s'éloignent ; Ulysse & les siens traversent le Théâtre, & sortent du m^me côté que les Poursuivants.)

 

Scène IX.

LAËRTE, PÉNÉLOPE, Femmes de Pénélope.

PÉNÉLOPE.
Ah ! l'excès de ma joie accable ma faiblesse.

CHOEUR, avec Pénélope.
C'est lui ! c'est Ulysse ! grands Dieux !

CHŒUR, hors du Théâtre.
Tombez, tyrans audacieux !

PÉNÉLOPE.
Hélas, dans quel trouble il me laisse !

CHŒUR, sur le Théâtre.
Protège-nous, sage Déesse !
Ulysse combat sous tes yeux.

CHŒUR, hors du Théâtre.
Tombez, tyrans audacieux.

LES POURSUIVANTS.
Fuyons le danger qui nous presse.
Ulysse a pour lui tous les Dieux.

CHŒUR, hors du Théâtre.
Tombez sous la main vengeresse,
Tombez, tyrans audacieux.

CHŒUR, sur le Théâtre.
Protège-nous, sage Déesse !
Ulysse combat sous tes yeux.

 

Scène Dernière.

ULYSSE, TÉLÉMAQUE, EUMÉE,
PEUPLE d'Ithaque, PÉNÉLOPE,
LAËRTE, FEMMES de Pénélope.

PÉNÉLOPE, en se précipitant vers Ulysse.
Enfin dans mes bras je le presse !

ULYSSE, à Pénélope.
Vos malheurs sont vengés, vos tyrans sont punis.

(A Laërte.)
Rien n'affligera plus votre auguste vieillesse,
Mon père ; & de beaux jours seront encor le prix
Des vertus, dont l'exemple instruisit ma jeunesse.
Rendons grâce aux Dieux qui nous ont réunis.

PÉNÉLOPE.
Ah ! quel moment pour ma tendresse !

ULYSSE, PÉNÉLOPE, TÉLÉMAQUE, LAËRTE,
ENSEMBLE.
Dieux immortels ! Et toi Minerve, & toi,
Ma/Sa Divinité tutélaire !
Que de voeux ! que d'autels ! que d'encens je vous dois !

ULYSSE.
Pénélope !

LAËRTE à Ulysse, ULYSSE à Télémaque.
Mon fils !

PÉNÉLOPE.
Cher Ulysse !

ULYSSE à Laërte, TÉLÉMAQUE à Ulysse.
Mon père !

LES QUATRE.
C'est cous enfin que je revois !
Ah ! qu'il a de charmes pour moi,
Ce jour, ce beau jour qui m'éclaire !

PÉNÉLOPE.
Ah ! quelle épouse, ah ! quelle mère
Sera plus heureuse que moi !

ULYSSE.
Quel fils, quel époux, & quel père
Fut jamais heureux comme moi !

TÉLÉMAQUE.
Quel fils, dans les bras de son père,
Fut jamais heureux comme moi !

PÉNÉLOPE & LAËRTE à Ulysse.
Quel fils, quel époux, & quel père
Fut jamais aimé comme toi !

CHŒUR GÉNÉRAL.
Dieux immortels ! & toi, Minerve, & toi,
Sa divinité tutélaire !
Protégez, défendez, conservez ce bon Roi.

(Un ballet général termine l'Opéra.)

FIN.

 

Acte I
Acte II
Acte III