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Didon
tragédie-lyrique,
en trois actes.

Représentée devant leurs Majestés à Fontainebleau
.

Livret de Marmontel
Mis en musique par Piccini.
Ballets de Gardel.




 

 



 


 

Acteurs

DIDON,
ÉNÉE,
YARBE,
ÉLISE, soeur de Didon,
PHÉNICE, Confidente de Didon,
UN CONFIDENT D'YARBE,
SIX PRÊTRES DE PLUTON,
UNE OMBRE.

 

Didon

ACTE PREMIER.

Le Théâtre représente une Salle du Palais de Didon.

Scène Première.

Le Prélude est un bruit de chasse.

DIDON, ÉLISE, PHÉNICE.

DIDON.
Oui, je veux dissiper le trouble de mon coeur ;
Je veux me fuir, je veux échapper à moi-même.

ÉLISE, PHÉNICE.
Vous régnez ; vous aimez un Héros qui vous aime ;
D'où peut venir encore cette sombre langueur ?

DIDON.
Des combats que livre mon âme
Un devoir, ennemi de ma naissante flamme.

Tu sais, dans le sommeil, quel vengeur me poursuit ;
Et que du sein des morts, mon époux me rappelle
Le serment que j'ai fait de lui rester fidèle ;
Ma soeur, je l'ai vu cette nuit.
Jamais si triste, si sévère,
Il n'avait paru devant moi.
Parjure, m'a-t-il dit, tu manques de foi.
Suis l'amour qui t'égare : il ne tardera guère
A me venger de toi.

AIR.
Vaines frayeurs, sombres présages,
Cessez de troubler mon repos.
Les Dieux, en faveur d'un Héros,
Me doivent des jours sans nuages.

Le Ciel ne l'a pas, sans dessein,
Fait aborder sur ces rivages.
Les vents, les flots & les orages
N'ont fait qu'obéir au destin.

Vaines frayeurs, sombres présages,
Cessez de troubler mon repos.
Je devrai des jours sans nuages
Au soin que je prends d'un Héros,

O toi, dont mon coeur est charmé,
Pardonne une erreur fugitive.
Je ne serais pas si craintive,
Si tu n'étais pas tant aimé.

(Le bruit de chasse recommence.)

Nous allons la revoir, cette grotte charmante,
Où Junon reçut nos serments ;
Et le plus tendre des Amants
Va bientôt rassurer la plus sensible Amante.

 

Scène II.

DIDON, ÉLISE, PHÉNICE, ASCAGNE,
COUR DE DIDON ; tous en habits de chasseurs & de chasseresses, l'arc à la main, le carquois sur l'épaule.

CHŒUR.
Le cor nous appelle à la chasse.
Suivons la Reine dans les bois.
Qu'elle applaudisse à notre audace ;
Qu'elle préside à nos exploits.

Elle est Diane sous les armes :
Les forêts tremblent à sa voix.
Mais de Vénus elle a les charmes,
Lorsqu'elle a posé son carquois.

Le cor nous appelle, &c.

(On danse.)

DIDON.
(Elle arme le jeune Ascagne.)
Venez, enfant des Dieux, digne fils d'un Héros,
Vous avez sa beauté ; vous aurez son courage.
Déjà vous dédaignez les langueurs du repos.
O Vénus ! de ton fils c'est la touchante image.

(Ascagne, fier de se voir armé de la main de Didon, exprime, en dansant, son ardeur pour la chasse ; les chasseresses le félicitent & partagent sa joie.)

 

Scène III.

ÉNÉE, & les Précédents.

ÉNÉE.
Reine, aux jeux de la paix il nous faut renoncer.
Un superbe ennemi s'avance, & vous menace.
Par son ambassadeur il se fait devancer ;
Et jamais avec plus d'audace
Un vainqueur n'osa s'annoncer.

DIDON.
C'est Yarbe. Ce roi, que ma fierté dédaigne,
Vient se venger de mes mépris.
C'est ma main qu'il demande ; & ce n'est qu'à ce prix
Que dans ces murs naissant il permet que je règne.
Seule, & sans défenseur, j'ai bravé son courroux ;
Espère-t-il que je le craigne,
Avec un vengeur tel que vous ?

ÉNÉE.
AIR.
Régnez en paix sur ce rivage,
Et reposez-vous sur ma foi.
Du tyran qui vous fait la loi,
J'abaisserai l'orgueil sauvage.
Régnez, &c.

Je vois des dangers à courir ;
Mais avec transport je m'y livre.
Si pour vous il est doux de vivre,
Pour vous il est doux de mourir.

DIDON, aux gardes.
L'Ambassadeur d'Yarbe à mes yeux peut paraître.

ÉNÉE.
Le voici.

 

Scène IV.

YARBE, ARASPE, SUITE d'Yarbe, DIDON, ÉNÉE, COUR de Didon,
Entrée d'Ïaarbe sur une marche. Didon est sur son trône, Élise & Énée à ses côtés.

YARBE, à Araspe.
(bas.)
Garde-toi de me faire connaître.

(haut.)
Didon, je vous porte les voeux
Du Roi du Numide & du More.
Il veut bien vous presser encore
De former avec lui les plus aimables noeuds.
Pour flatter l'orgueil d'une Reine,
Son empire & sa main sont d'un prix assez beau.
Pensez dans quel malheur un refus vous entraîne,
Pensez qu'en ce moment, ou l'amour ou la haine
Allume entre vous son flambeau.

Les peuples ses sujets viennent vous faire hommage
Des trésors que le Ciel a mis en son pouvoir.

DIDON.
D'une sainte amitié que ces dons soient le gage ;
De la main d'un grand Roi je puis les recevoir.
S'il ose espérer davantage,
Didon ne veut rien lui devoir.

YARBE, à Araspe, à part.
J'aime ce superbe courage.

(Les sujets d'Yarbe apportent leur offrande au pied du Trône de Didon.)

ARASPE, à Yarbe, à part.
Quelle dédaigneuse fierté !

YARBE, à Araspe, à part.
Elle est fière ; mais elle est belle.

(A Didon.)
Puis-je, au nom de mon Roi, parler en liberté ?
Aux cendres d'un époux quand pour être fidèle,
Didon s'est refusée à de nouveaux liens,
Yarbe, en l'admirant, n'a rien exigé d'elle.
Lais le bruit se répand que le chef des Troyens
Est l'époux qu'au trône elle appelle :
On dit que sous ses lois elle va se ranger ;
Que pour eux de l'hymen on prépare la fête.
Il ne souffrira point qu'un rival étranger
Vienne lui ravir sa conquête ;
Et c'est de lui surtout qu'il prétend se venger.

(Énée va prendre la parole ; Didon le prévient.)

DIDON.
Sujet d'Yarbe, enfin c'est à vous de m'entendre.
De ses ressentiments j'ai prévu le danger,
Et sans effroi je sais l'attendre.
Sur le coeur de Didon il n'a rien à prétendre ;
Et si j'ai fait un choix, rien ne peut le changer.

YARBE.
Vous ignorez à quel ravage
Vous allez livrer ce rivage.

DIDON.
Je sais qu'un Héros me défend.

YARBE.
D'un Roi qui brûle de vous plaire,
Vous braverez moins la colère,
Quand vous l'aurez vu triomphant.

DIDON.
Qu'il perde une vaine espérance.
Fidèle à mon choix, sans retour,
Je vois avec indifférence
Et sa colère & son Amour.

AIR
Ni l'Amante, ni la Reine,
Ne veut fléchir sous sa loi.
Je dispose en Souveraine
De mon empire & de moi.

Le droit affreux de la guerre
Ne s'étend pas sur mon coeur ;
Et le vainqueur de la terre
Ne serait pas mon vainqueur.

(Didon se retire avec sa Cour, Yarbe retient Énée.)

 

Scène V.

ÉNÉE, YARBE, & sa SUITE.

YARBE.
C'est donc toi que Didon couronne ?

ÉNÉE.
J'ignore & mon destin & le choix de Didon ;
Mais d'elle-même ici je prétends qu'elle ordonne.

YARBE.
Sais-tu que de mon Roi son empire est un don ?

ÉNÉE.
Qu'il laisse donc en paix les empires qu'il donne.

YARBE.
Téméraire ! est-ce ainsi qu'au plus beau sang des Dieux ?...

ÉNÉE.
Le sang des Dieux m'anime, & n'a rien qui m'étonne.
Mais que veux-tu de moi ?

YARBE.
Que tu quittes ces lieux.

ÉNÉE.
Que je quitte ces lieux ! J'y reste, pour attendre
Un ennemi digne de moi.
Tu peux l'annoncer à ton Roi.
Qu'il vienne me parler ; je suis prêt à l'entendre.

(Énée veut sortir.)

YARBE.
Arrête, & sois content : Yarbe est devant toi.

ÉNÉE.
Je n'ai donc plus rien à t'apprendre ;
Et Didon seule ici peut me donner la loi.

DUO.

YARBE.
Trop fier de sa faiblesse
Et d'un choix qui me blesse,
Crois-tu que je te laisse
Le maître de son coeur ?

ÉNÉE.
Didon sera sans cesse
Maîtresse de son coeur.

ENSEMBLE.
Crois-tu que je m'abaisse
A te céder un coeur ? / A souffrir un vainqueur ?

YARBE.
Triste rebut du monde,
Faible jouet de l'onde,
Tu viens braver un Roi !

ÉNÉE.
Le Ciel dans mon naufrage,
M'a laissé mon courage ;
Et c'est assez pour moi.

YARBE.
Tu connais ma puissance ;
Implore ma bonté.

ÉNÉE.
Je défends l'innocence,
Et je sers la beauté.

YARBE.
Dans peu d'instants, peut-être,
Je te ferai connaître
Si le Ciel t'a fait naître
Pour t'égaler à moi.

ÉNÉE.
Dans peu d'instants, peut-être,
Je te ferai connaître
Si le Ciel m'a fait naître
Pour fléchir devant toi.

(Énée sort.)

 

Scène VI.

YARBE, ARASPE, suite D'YARBE.

YARBE.
Courons à la vengeance, Araspe. - A quel outrage
Le sort m'aurait-il réservé ?
UN transfuge d'Asie, échappé du naufrage !...
Et de Didon, par lui, le coeur m'est enlevé !
Je l'ai vue ; & jamais je n'avais éprouvé
Ce charme dangereux, qui redouble ma rage.
J'aime ; et un autre est aimé ! D'un rival odieux
Mon malheur, ma honte est l'ouvrage !
Il n'en jouira point, j'en atteste les Dieux.

AIR.
O Jupiter ! ô mon père !
Si l'affront que je reçois
N'enflammait pas ma colère,
Serais-je digne de toi ?

Ton sang n'obtient sur la terre
Que des mépris inhumains !
Ah ! que n'ai-je le tonnerre
Qui repose dans tes mains !

 

ACTE II.

Le Théâtre représente une Place publique, où s'élèvent des édifices qui ne sont pas encore achevés ; sur l'un des côtés, le Vestibule du Temple de Junon.

Scène Première.

ÉNÉE, ÉLISE.

ÉNÉE.
Au noir chagrin qui me dévore,
Ne pénétrez-vous pas ce qu'exigent les Dieux ?
Je suis cher à Didon, je l'aime, je l'adore ;
Et des pleurs, malgré moi, s'échappent de mes yeux.
Au noir chagrin qui me dévore,
Ne pénétrez-vous pas ce qu'exigent les Dieux ?

ÉLISE.
Cruel ! vous méditez de funestes adieux.

ÉNÉE.
Élise, il est trop vrai. Mais sans honte & sans crime,
Je subirai mon triste sort ;
Et du moins, en quittant ce bord,
J'aurai vengé Didon du Tyran qui l'opprime.

ÉLISE.
Vous allez donc l'abandonner !

ÉNÉE.
A d'éternel regrets je vais me condamner.

Pour rendre la victoire à nos armes propice,
Les Troyens à leurs Dieux ont fait un sacrifice.
On n'a vu sur l'autel que des feux pâlissants ;
La victime a poussé de lugubres accents ;
Et le prêtre alarmé regardant l'Italie,
Peuple, a-t-il dit, c'est là que doit fumer l'encens.
Rompez la chaîne qui vous lie ;
Apaisez vos Dieux menaçants.

AIR.
Plaignez un Roi, plaignez un père,
A qui son destin fait la loi.
Suis-je, hélas ! suis-je encore à moi ?
Didon me sera toujours chère ;
Mais je suis père & je suis Roi.

Le sort m'a promis l'Italie :
Je la dois aux Troyens, je la dois à mon fils ;
Et sur ces bords si je m'oublie,
Tous mes devoir seront trahis.

Plaignez un roi, &c.

C'est à vous de calmer, de consoler la Reine.
Dites-lui que du Ciel l'inflexible rigueur
Me fait violence & m'entraîne.

ÉLISE.
Moi ! que je lui perce le coeur !
Non, non ! - Mais ce Roi qui l'adore,
Demande à la revoir ; il revient sur ses pas.
Cessez de le braver ; & s'il est temps encore,
Énée, à sa fureur ne nous exposez pas.

(à part, en sortant.)

De ce changement qu'il ignore,
Allons le faire instruire, & désarmer son bras.

 

Scène II.

ÉNÉE, seul.
Il croira donc que je luis cède !
Il va posséder tant d'appas !
Oui, plus heureux, qu'il les possède ;
Et pour elle, & pour moi, je le souhaite, hélas.
Je le souhaite ! ô Dieux ! quel tourment pour mon âme !
Non, d'en être jaloux il ne m'est plus permis.
Je l'abandonne ; & je frémis
Que l'amour dans son sein n'allume une autre flamme !

AIR.
Non, je lui rends sa liberté :
Son coeur ne doit plus se contraindre.
Hélas ! ce n'est pas sa fierté,
C'est son amour que je dois craindre.

Je l'aurai trop bien mérité,
L'oubli de ce coeur irrité,
Pour avoir le droit de m'en plaindre.
Non, je lui rends sa liberté.

 

Scène III.

DIDON, ÉNÉE.

DIDON.
Du Héros, sur les coeurs, que l'exemple a d'empire !
Au milieu des dangers quelle audace il inspire !
Mon peuple s'empresse à marcher sur vos pas.
O d'un règne éclatant bienheureuses prémices !
Énée, & que la gloire en a pour moi d'appas,
Lorsqu'elle naît sous vos auspices !

ÉNÉE.
Yarbe demande à vous voir ;
Déjà son orgueil se modère.

DIDON.
Qui peut le ramener ? Et quel est son espoir ?

ÉNÉE.
Jusqu'au dernier moment un malheureux espère.

DIDON.
Qui ? Moi, le flatter ! Moi souffrir
Qu'il prétende, à ses voeux, que mon amour réponde !
Non, quant il aurait à m'offrir
Le trône et le sceptre du monde.
D'une guerre sanglante il nous a menacés ;
Je l'attends. Vos dangers vont me remplir d'alarmes ;
Mais ces cruels moments passés,
Ah ! combien la victoire aura pour moi de charmes !
Quel bonheur ! ces bienfaits tant de fois retracés,
Par un seul aujourd'hui seront tous effacés.
Je n'aurai plus sur vous ce pénible avantage ;
De vos mains à mon tour, je vais tout recevoir ;
Ma gloire, mon repos, le salut de Carthage,
C'est moi qui vais tout vous devoir.

AIR.
Ah! que je fus bien inspirée,
Quand je vous reçus dans ma cour !
O digne fils de Cythérée !
Combien je rends grâce à l'amour !

J'ai beau le voir, je crois à peine
Ce que Vénus a fait pour moi
Aux malheurs causés par Hélène,
Il est donc vrai que je vous dois !

Ah ! que je fus, &c.

ÉNÉE, à part.
Hélas !

DIDON.
Vous soupirez ! Quel funeste nuage
!

ÉNÉE.
Les Dieux me sont témoins que l'absence, le temps,
Rien ne peut de mon coeur effacer votre image ;
Que je brûle pour vous des feux les plus constants.

DIDON.
Je n'ai jamais douté d'une si belle flamme.
Pourquoi m'assurer ? Ah ! laissons les serments
Aux vulgaires Amants.
Un regard, un soupir, c'est assez pour mon âme.
Un trouble, hélas ! plus dévorant,
Me retrace aujourd'hui le malheur de Pergame.
Je vous expose, Énée, au péril le plus grand :
Je le vois, j'en frémis : l'aveugle sort des armes,
Peut condamner mes yeux à d'éternelles larmes.
Je veux, si tel est mon malheur,
D'un injuste reproche au moins sauver ma cendre,
Et, sans rougir de ma douleur,
Dans la tombe, avec vous, avoir droit de descendre .

J'assemble ici mon peuple ;  & je veux devant vous
Consacrer vos bienfaits & ma reconnaissance ;
Je veux que mon vengeur, armé de ma puissance,
Porte dans les combats le nom de mon époux.

Tandis que la pompe s'apprête,
Annoncez aux Troyens la fin de leur travaux ;
Et revenez, dans cette fête,
Triompher de tous vos rivaux.

ÉNÉE, à part.
Je devrais... je ne puis... Quels supplices nouveaux !

 

Scène IV.

YARBE, DIDON.

YARBE.
L'amour a, dans mon coeur, suspendu la vengeance ;
Mais Didon, le sang va couler.
Pour la dernière fois, écoutez en silence
Ce que je viens vous révéler.
Ce Troyen, ce transfuge, Énée est un perfide.

DIDON.
Énée !

YARBE.
Il vous expose à mon ressentiment,
Il se pare à vos yeux d'une audace intrépide,
Il me défie insolemment ;
Hé bien, tout occupé de sa fuite prochaine,
Le lâche, en flattant votre erreur,
Va s'échapper de votre chaîne,
Et se soustraire à ma fureur.

DIDON.
Allez, Yarbe, allez, vous connaîtrez Énée ;
Vous saurez si Didon se voit abandonnée.
Aujourd'hui, dans ce temple, il m'engage sa foi ;
On allume pour nous les flambeaux d'Hyménée :
Jugez s'il se prépare à s'éloigner de moi.

YARBE.
C'est donc à moi qu'on en impose !

DIDON.
Vous connaissez l'envie, & daignez l'écouter !

YARBE.
Pour cet hymen fatal ainsi tout se dispose !
Didon, consultez-vous avant de le hâter.

DIDON.
Sur la foi d'un Héros tout mon coeur se repose :
Je n'ai plus rien à consulter.

YARBE.
Tremblez donc, il est temps : mes coups vont éclater.

AIR.
Je veux les voir réduire en cendre,
Ces murs où l'on ose m'insulter.
Du trône où je devais monter,
Je vous forcerai de descendre.
Je veux les voir réduire en cendre,
Ces murs où l'on ose m"insulter.

Je veux qu'errant sur ce rivage,
Et ne rencontrant sur ses pas
Qu'un désert aride et sauvage,
L'étranger demande Carthage,
La cherche, & ne la trouve pas.

(Il sort.

 

Scène V.

DIDON, seule.
Quelle noirceur ! Énée infidèle & parjure!
C'est à moi d'expier cette coupable injure.

 

Scène VI.

Le Peuple de Carthage, Les Troyens, La Cour de DIDON, ÉNÉE, ÉLISE.

DIDON.
Peuple, un Héros du sang des Dieux
Embrasse aujourd'hui ma défense.
Sans lui, ce fier Tyran que ma grandeur offense,
Etendait jusqu'à vous son empire odieux.
En m'imposant la loi d'un second Hyménée,
Je vois qu'on prétend m'asservir ;

(Énée paraît, suivi de ses Troyens.)

Et je remets au mains d'Énée
Le sceptre qu'on veut me ravir.

Au fils d'une grande Déesse,
Rendez un hommage éclatant.
A la victoire qui l'attend,
Préparez-vous brave jeunesse.

CHŒUR.
Au fils d'une grande Déesse,
Rendons un hommage éclatant.

CHŒUR de femmes.
A la victoire qui l'attend,
Préparez-vous, brave jeunesse.

Petit CHŒUR d'hommes.
De la noble ardeur qui nous presse,
Notre héros sera content.

CHŒUR de Troyens, bas, à Énée.
Des Dieux accomplis la promesse.
Tu sais quel destin nous attend.
Ton fils réclame ta tendresse.
Ne vois que lui dans cet instant.

DIDON, à part.
Quel est le trouble qui le presse ?
Il semble interdit et flottant.

ÉNÉE, à part.
Cachons le trouble qui me presse.
O Dieux ! si Didon les entend !

Grand CHŒUR des Tyriens.
Au fils d'une grande Déesse,
Rendons un hommage éclatant.
Qu'il règne & triomphant sans cesse.
Jusqu'aux Cieux sa gloire s'étend.

CHŒUR des Troyens,  bas, à Énée.
Des Dieux accomplis la promesse.
Tu sais quel destin nous attend.

ÉNÉE.
Reine, & vous, Tyriens, cessez, cessez de croire,
Qu'avant de mériter mon bonheur & ma gloire,
Au rang qui m'est offert je consente à m'asseoir.

(A Didon.) (Au peuple.)

Vous servir, vous défendre est mon premier devoir.
Le reste est mon triomphe ; il suivra ma victoire.

DIDO, à part.
Dieux ! qu'entends-je ? mon coeur frémit d'être éclairé.

(A Énée.)

D'où naît ce changement qui me glace de crainte ?
Venez, rassurez-moi; l'autel est préparé.

ÉNÉE, à part.
Que lui dirai-je, hélas ? ô mortelle contrainte !

DIDON, à sa Cour & au peuple.
Laissez-nous.

 

Scène VII.

DIDON, ÉNÉE, ÉLISE.

DIDON.
Notre hymen est par vous différé !

ÉNÉE.
Aux Troyens, à mon fils, je dois un autre empire.

DIDON.
Malheureuse ! à peine je respire.

ÉNÉE.
Tel est l'ordre des Dieux. C'est à moi d'accomplir
Cette loi, pour nos coeurs si fatale & si dure ;
Et je suis impie & parjure,
Si rebelle à mon sort, je tarde à le remplir.

DIDON.
Il est donc vrai !

ÉNÉE.
Jugez des tourments que j'endure.
A peine le sommeil appesantit mes yeux ;
L'ombre d'un père m'épouvante.
Je l'entends, je la vois plaintive, menaçante,
Presser nos funestes adieux.

DIDON.
Ah ! si l'erreur d'un songe effraie une Amante,
Que ne m'ont point prédit les enfers & les cieux ?
J'ai tout bravé pour vous ; & voilà comme on aime.
Mais que dis-je ? Les Dieux, dans leur bonheur suprême,
Des amours des mortels daignent-ils s'occuper ?
Non, non, vous voulez m'échapper,
Mon seul ennemi c'est vous-même.
Vous cherchez un empire ! & ne l'avez-vous pas ?
Votre peuple est le mien ; mes sujets sont les vôtres.
Vous parlez de serments ! crédule amante ! Hélas !
Il en est donc pour vous de plus saints que les nôtres ?

ÉNÉE, à part.
O devoir ! ô tendresse ! ô pénibles combats !

TRIO.

DIDON, à Énée,
Tu sais si mon coeur est sensible ;
Epargne-moi s'il est possible.
Veux-tu m'accabler de douleur ?

ÉNÉE, au ciel.
Tu vois si son coeur est sensible ;
Epargne-là, ciel inflexible !
Veux-tu l'accabler de douleur ?

ENSEMBLE.
Au lieu d'un bonheur si paisible,
Dieux ! quel abîme de malheur !

DIDON.
Tu veux me fuir !

ÉNÉE.
Ah ! quel supplice !

DIDON.
Tu veux me fuir !

ÉNÉE.
Tel est mon sort.
Mon coeur n'en est point le complice.

DIDON.
C'est toi cruel, qui veut ma mort.
Regarde-moi : vois ton ouvrage.

(Élise la soutient défaillante.)

ÉNÉE.
O Dieux ! la pâleur du trépas !

ÉLISE.
Cruel ! as-tu l'affreux courage
De la voir mourir dans mes bras ?

ÉNÉE.
Et moi j'aurais l'affreux courage
De la voir mourir dans mes bras !
Grands Dieux ! vous ne l'ordonnez pas.

(A Didon.)
Ouvrez les yeux.

DIDON.
Vois ton ouvrage.

ÉNÉE.
Vivez.

DIDON.
Pourquoi vivrais-je, hélas !
Pour voir ton crime & mon outrage ?
Laisse-moi mourir dans ses bras.

ÉLISE.
Cruel ! as-tu l'affreux courage
De la voir mourir dans mes bras ?

ÉNÉE.
Et moi j'aurais l'affreux courage
De la voir mourir dans mes bras !

DIDON.
Sans voir ton crime & mon outrage,
Laisse-moi mourir dans ses bras.

ÉNÉE.
Jugez des tourments que j'endure.

 

Scène VIIII.

DIDON, ÉNÉE, ÉLISE, TYRIENS & TROYENS.

CHŒUR.
Aux armes ! les Mores avancent.

(femmes.) Enfants des Dieux, défendez-nous.
(Hommes.) Enfants des Dieux, commandez-nous.

TOUS.
Aux armes, les Mores s'avancent ;
Déjà leurs ravages commencent.

(femmes.) Qu'ils soient dispersés devant vous.
(Hommes.) Qu'ils soient renversés sous nos coups.

ÉNÉE, à Didon.
Calmez de trop vives alarmes :
Ce bras va combattre pour vous.
Aux armes !

CHŒUR.
Aux armes, aux armes !

(femmes.) Enfants des Dieux, défendez-nous.
(Hommes.) Enfants des Dieux, commandez-nous.

DIDON, ÉLISE, ÉNÉE.
Dieux ! justes Dieux ! secondez-nous.

FIN DU SECOND ACTE.

 

ACTE III.

Le Théâtre représente le péristyle du Palais de Didon ; en face du Palais, le tombeau de Siché ; au fond, à travers les colonnes, on voit la Mer, & un coin du port de Carthage.

Scène Première.

DIDON, ÉLISE.

DIDON.
Non, ce n'est plus pour moi, c'est pour lui que je crains.
Élise, il est sensibles ; il me sera fidèle.
Le parjure est trop vil pour une âme si belle ;
Et nos coeurs sont liés par les noeuds les plus saints.
Les Dieux ont pu vouloir le ravir à mes larmes ;
Je fléchirai les Dieux ; ils plaindront deux Amants.
N'ont-ils pas reçu nos serments ?
N'ont-ils pas de l'amour ressenti les alarmes ?
Ils seront touchés de mes pleurs ;
Et mon empire & moi protégés par ses armes,
Nous oublierons tous nos malheurs.

AIR.
Hélas ! pour nous il s'expose;
Et c'est moi qui suis la cause
Des dangers qu'il va courir.
Dieux ! si la main d'un barbare !...
Je me trouble, je m'égare,
D'effroi je me sens mourir.

Ah ! qu'il vive, & que la gloire
Le rende aux voeux de mon coeur.
Je ne veux que la victoire
Que le retour du vainqueur.

(Bruit de victoire.)

Il revient, je l'espère, & ce bruit me l'annonce.
Élise ! en ma faveur c'est le Ciel qui prononce.

 

Scène II.

ÉLISE, DIDON, ÉNÉE & ses GUERRIERS,
PEUPLE DE CARTHAGE.

CHŒUR, hors du Théâtre.
Victoire ! Ils sont défaits,Le More a succombé.
Sous les coups du Troyen le Numide est tombé.

(Marche triomphale.)

CHŒUR.
Dieux des Troyens, Dieux de Carthage,
Pour nous vous avez combattu.
L'amour enflammait le courage ;
Le gloire a suivi la vertu.
Vive un Héros vaillant & sage !
L'amour enflammait son courage ;
Le gloire a suivi la vertu.

(Danse.)

DIDON.
Ah ! le beau jour pour vous, le beau jour pour moi-même !
Je dois tout au héros que j'aime.

ÉNÉE.
Pouvais-je, en combattant, ne pas vaincre en ce jour ?
Je servais la beauté, la justice & l'amour.

(Danse.)

 

Scène III.

DIDON, ÉNÉE, ÉLISE, PHÉNICE.

DIDON, à Énée.
Au comble de la gloire, au milieu des plaisirs,
Quand rien ne maque à nos désirs,
Énée, ah ! de quels yeux tu revois ton Amante !

ÉNÉE.
Le fils de Jupiter est tombé sous mes coups :
Ce Dieu, pour le venger, me sépare de vous.
A peine de son sang la terre était fumante,
Le tonnerre a grondé dans les plaines de l'air ;
Du haut des Cieux, Mercure est descendu lui-même,
Et m'a dicté la loi suprême
Que me prescrivait Jupiter.
Didon, ce n'est point un prestige.

DIDON.
Non, c'est un indigne détour.

ÉNÉE.
Ah ! croyez...

DIDON.
Laisse-moi, va, laisse-moi, te dis-je.
Tu veux m'abandonner, tu  le peux sans retour.
Tu crois dans ces climats ta gloire ensevelie ;
Tu brûles de voir l'Italie.
Je ne te retiens plus. Quel prix de tant d'amour !

Perfide ! en me voyant si faible, si crédule,
Que n'annonçais-tu ton funeste dessein ?
Indigne du feu qui me brûle
Pourquoi l'avoir toi-même allumé dans mon sein ?

Aux Mânes d'un époux tu me rends infidèle ;
Tu me fais de vingt Rois blesser l'orgueil jaloux ;
Pour toi seul... mais faut-il que je te les rappelle,
Ces bienfaits, dont l'oubli m'aurait été si doux ?

ÉNÉE.

AIR.
Vous le savez, Dieux que j'atteste,
Si je veux survivre à mon sort !
Le seul asile qui me reste,
Mon dernier espoir, c'est la mort.

(A Didon.)

Je vais, traînant partout ma chaîne,
M'offrir à des dangers nouveaux ;
Et si j'emporte votre haine,
Rien ne manque plus à mes maux.

DIDON.
Qu'ai-je donc fait, cruel,  à tes Dieux, à toi-même,
Pour déchirer un coeur qui t'aime ?
Ai-je embrasé les murs qui t'ont donné le jour ?
Ai-je eu part au crime d'Hélène ?
De vingt Rois, dans l'Elide, ai-je allumé la haine ?
Mon crime; hélas ! c'est mon amour.

AIR.
Ah ! prends pitié de ma faiblesse,
Et du désespoir où je suis.
Qui consolera mes ennuis,
Si ta cruauté me délaisse ?
J'en mourrai, tu n'en peux douter,
Et cette mort sera sanglante.
Daigne au moins, ah ! daigne écouter
Les derniers soupirs d'une Amante,
Que, pour jamais, tu vas quitter.

ÉNÉE.
Dans ce coeur malheureux que ne pouvez-vous lire !

DIDON.
Non, je le vois, ton coeur n'a plus rien à me dire.
Hé bien, je me soumets à mon sort rigoureux.
Oui, je sens qu'un Héros se doit aux voeux du monde.
La gloire, la grandeur promise à nos neveux,
Tout impose silence à ma douleur profonde.
Remplissez vos destins, j'y consens, je le veux ;
Mais du moins attendez un vent qui vous seconde.
Sous le coup qui me frappe accablée aujourd'hui,
Contre un malheur si grand j'ai besoin d'assistance :
Ne me laissez pas sans appui.
Votre invincible coeur m'enseigne la constance ;
Et je veux l'apprendre de lui.

ÉNÉE.
Didon, plus je diffère & plus le mal augmente.
N'attirons pas sur nous la colère d'un Dieu.

DIDON.
Hé quoi ! vous refusez aux larmes d'une Amante
Quelques jours que va suivre un éternel adieu !

ÉNÉE.
Laissez-moi le malheur qui me suit en tout lieu.

DIDON.
Va, pour ta course vagabonde,
Hâte-toi de tout préparer.
Remonte sur ces mers, qui nous vont séparer ;
Va chercher l'Italie, errant au gré de l'onde.
Il saura me venger, ce perfide élément.
Triste jouet des flots, des vents & de l'orage,
Environné d'écueils, menacé du naufrage,
Tu te repentiras, dans ce fatal moment,
D'avoir abandonné le tranquille rivage,
Où l'amour t'aurait fait un destin si charmant!
Tu nommeras Didon, présente à ta pensée ;
Tu gémiras, ingrat, de l'avoir offensée ;
Tu l'appelleras vainement.

ÉNÉE.
Quelques dangers que me prépare
Le sort qui m'accable aujourd'hui ;
Un coeur qui de vous se sépare,
N'a plus rien à craindre de lui.

DIDON.
C'en est donc fait, Énée ? - O funeste silence ! -
L'insensible ! - Et Vénus te donna la naissance !
Non, par les tigres allaité,
Ton coeur en a  la cruauté.
Délivre-moi de ta présence,
Fuis. Mais tremble, cruel ! mon ombre te suivra.
A toute heure, en tout lieu, fut-ce au bout de la terre,
Je te livre en mourrant une éternelle guerre,
Et ma fureur me survivra.
Puissent renaître de ma cendre
Des vengeurs altérés du sang de tes neveux.
Qu'ils portent le fer & les feux
Au rivage où tu vas descendre ;
C'est-là le dernier de mes voeux.

(Elle sort.)

ÉNÉE.
Ah ! dans la fureur qui l'anime,
Que ne peut de son coeur tout le feu s'exhaler !

 

Scène IV.

ÉNÉE, seul.
Inexorables Dieux ! regardez la victime
Que vous me forcez d'immoler.
Dieux, témoins des serments que je dois violer,
Puis-je vous obéir ? le puis-je, hélas, sans crime ?

(Le Tonnerre gronde.)

Mais j'implore ; & vous menacez.

(Le tonnerre redouble : l'ombre d'Anchise apparaît.)

Que vois-je ? l'ombre de mon père !
Approchons. Je frémis. Tous mes sens son glacés.
Mon père ! ai-je des Dieux mérité la colère ?

L'OMBRE.
Le Ciel commande. Obéissez.

ÉNÉE.
Hélas ! au désespoir je réduis une Reine,
De qui la bonté souveraine
A sauvé d'Illium les débris dispersés.

L'OMBRE.
Le Ciel commande. Obéissez.

(L'ombre disparaît.)

ÉNÉE.
Cédons au pouvoir qui m'entraîne.
Dieux terribles, vous m'y forcez.

(Il sort.)

 

Scène V.

HOMMES & FEMMES du Palais, traversant le Théâtre.

CHŒUR.
Les éléments troublés
Se déclarent la guerre.
Le Ciel tonne à coups redoublés.
Où fuir ! Les éléments se déclarent la guerre.
Jusqu'en leurs fondements ces murs sont ébranlés.

 

Scène VI.

DIDON, PHÉNICE.

DIDON.
Que m'annonce le Ciel par la voix du tonnerre ?
Énée !.... O Dieux ! Que vois-je ! Il part, il fend les eaux !
Tyriens, accourrez, embrasez ses vaisseaux. -
Désespoir impuissant ! Rage vaine & tardive !
Il m'échappe ! - Il fallait l'enchaîner sur la rive,
Brûler sa flotte, avant qu'elle pût s'éloigner,
Dans le sang de son fils, dans son sang me baigner,
Enfin mourir vengée ; ou du moins, en captive,
Le suivre où le destin le condamne à régner. -

( A part.)

Plus d'espoir. Il est temps que mon tourment finisse.
Mais, pour tromper ma soeur, il faut dissimule. -

(A Phénice.)

A des mânes plaintifs je dois un sacrifice ;
Au Prêtre de Pluton je demande à parler.
Va, ma chère Phénice,
Et le fais appeller.

(Phénice sort.)

 

Scène VII.

DIDON, seule.
Je veux mourir. Je veux, pour déchirer son âme,
Le rendre témoin de ma mort.
Je veux qu'en éloignant de ce funeste bord,
Le bûcher de Didon l'éclaire de sa flamme. -
Il sentira peut-être au moins quelque remord.

 

Scène VIII.

DIDON, ÉLISE, PRÊTRES de Pluton,
PHÉNICE, autres SUIVANTES de Didon.

DIDON.
Il est parti, ma soeur. - O toi, qui me condamnes,
Ombre de mon époux, cesse de murmurer. -

(Aux prêtres.)

Qu'on prépare un autel ; je veux fléchir ses mânes.
Que le bûcher s'élève ; & que sans différer
J'y brûle d'un ingrat les dépouilles profanes.
Sur ce bûcher, ma soeur, que je veux allumer,
Pour détruire à jamais un souvenir funeste,
Nous allons du Troyen déposer ce qui reste,
Et l'y voir consumer.

(A ses Femmes.)

Qu'on m'apporte en ce lieu ses dépouilles, ses armes;
Je veux, sur le bûcher, les placer de ma main.

(Phénice & les autres Suivantes de Didon, vont chercher les dépouilles & les armes d'Énée.)

 

Scène IX.

DIDON, ÉLISE, les PRÊTRES de Pluton.

DIDON.
Ma soeur, embrassez-moi ; je vais trouver enfin
Le repos après tant d'alarmes.

ÉLISE.
Ah ! puissiez-vous le goûter en mon sein !

 

Scène X.

Les Femmes & les Suivantes de Didon, apportent les dépouilles & les armes d'Énée.

DIDON, ÉLISE, PRÊTRES de Pluton,
PHÉNICE, & autres Suivantes de DIDON.

CHŒUR DES PRÊTRES.
Apaisez-vous , mânes terribles,
Mânes irrités d'un Héros.
Dieu de l'oubli, Dieu du repos,
Rends à Didon des jours paisibles ;
Répands sur elle  ces pavots
Qui des coeurs gémissants calmes les soins pénibles.

(Pendant le Choeur, Didon, au fond du Théâtre, reçoit des mains de ses Femmes les dépouilles & les armes d'Énée, les place sur le bûcher, & y monte elle-même.)

DIDON.
Toi que j'ai tant aimé, qui m'a fait tant souffrir,
Hélas ! que n'avais-je à t'offrir
Cet empire éclatant où le destin t'appelle !
Pardonne à ma douleur cruelle
Les voeux insensés que j'ai faits.
Dieux ! oubliez-les à jamais.

(Elle se frappe de l'épée d'Énée.)

(Élise & Phénice montent sur le bûcher, & soutiennent dans leurs bras Didon mourante.)

CHŒUR.
O Ciel ! ô Reine infortunée !
O jour de douleur & d'effroi !

LES PRÊTRES.
Inexorable destinée,
Quelle est la rigueur de ta loi !

DIDON.
Adieu mon cher Énée,
Mon dernier soupir est pour toi.

(Les Prêtres de Pluton allument le bûcher.)

 

Scène XI, & dernière.

Le PEUPLE de Carthage & les précédents.

LE PEUPLE.
O Ciel ! ô Reine infortunée !
O jour de douleur & d'effroi !

LES FEMMES.
Elle s'est vue abandonnée.
Un perfide a trahi sa foi.

LE PEUPLE.
Hé quoi ! d'une Reine si belle
Les larmes n'ont pu le toucher !
A cette race criminelle
Jurons une guerre éternelle.
Oui, jurons-là sur ce bûcher.

Mânes d'un objet plein de charme,
Chère ombre ! reçois nos serments.
A d'éternels ressentiments
Nous consacrons ici nos armes.

(Ils tirent leurs épées.)

Mânes d'un objet plein de charmes,
Avec nos regrets & nos larmes,
Cher ombre ! reçois nos serments.

Oui, quelque bord qui vous recèle,
Troyens, nous irons vous chercher.
A cette race criminelle,
Jusqu'aux enfers, guerre éternelle !
Nous la jurons sur ce bûcher.

FIN.

 

Acte I
Acte II
Acte III