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Du Langage des Livrets de l'Opéra Baroque
par

Hélène Leclerc
(in Venise Baroque et l'Opéra, Armand-Colin, Paris, 1987, p.291- 292.)




 

 



 


 

Parallèlement au langage à surprise de la scénographie baroque avec ses brusques changements de décors, ses vols ailés, ses incendies, son enfer, ses naufrages, mais où l'Olympe intervient de moins en moins dans la vie des humains devenus responsables de leurs passions, le langage des Livrets devient anti-classique et s'en flatte.

L'influence du poète Marino, de son style ornementé, anti-naturel, n'y est pas étrangère, celle de Gongora, parfois avancée, est plus contestable et moins explicable, Italie et Espagne appartenant à des modes de pensées différents.

Ce langage procède aussi du mélange des genres dans les intrigues où l'on voit de grands personnages sérieux engagés dans des situations comiques ou bien confrontés à des personnages de valets comiques, ainsi dans Giasone de Cavalli (1649) sur le Livret de Cicognini.

Plus tôt, même dès 1641, dans le Ritorno d'Ulisse in Patria de Monteverdi donné à Venise au théâtre San Cassiano, l'auteur du Livret, Giacomo Badoaro, tout vieil académicien qu'il est, se pique dans l'Avant-propos d'anticonformisme. On tombe en réalité dans une autre forme de convention : le formalisme du "dramma per musica" mais dont la fonction communicative doit beaucoup à l'oratorio baroque.

Métaphores, antithèses, jeux de mots et sentences graves s'adressent au public en "a parte". Le langage versifié est soucieux de musicalité avec ses assonances, ses reprises, ses contrastes et le "contra posto" de discours rapides en changement. On pourrait parler d'"exercice de style" et de "merveilleuse exagération" comme le dit un contemporain, Sforza Pallavicino, en 1642. Les sujets eux-mêmes portaient à la déraison, à la parodie, à la dérision des personnages les plus sérieux, à leur déformation initiale.

Dans la deuxième moitié du XVIIe siècle s'amplifiera cette tendance avec Matteo Noris : La Semiramide (1671), Sartorio : L'Adelaide (1672), Il Candaule de P. Andrea Ziani (1679), et beaucoup avec Aurelio Aureli, son Alceste (1660) et son Orfeo (1673).

On pourrait multiplier les exemples, en apportant une nuance avec le grand genre de l'Opéra héroï-comique vénitien, représenté par La Totila (1677) de Legrenzi et Noris, ou son Il Giustinio (1683) et Onotorio in Roma (1692) de Pollarolis.

Mais que disait Giacomo Badoaro dans son Avant-propos d'Il Ritorno d'Ulisse pour s'expliquer et se justifier ? Il parlait d'un tragique "satiri-comico" et de "diletto" (plaisir), mêlé au lamentable. "Cet opéra, dit-il, porte nécessairement à sortir des règles non par erreur mais par volonté, non par inadvertance... prenant une comparaison, il ajoute : les monstres sont des défis de la nature, hors de ses intentions. Les géants, par contre ne sont pas des défauts ni des monstres, mais hors des communes mesures des autres hommes, nés ainsi par excès de matière. Si on disait que cet opéra est un monstre, je dirais non, je dirais que le sujet excède la commune mesure des autres tragédies, que c'est un géant né ainsi par excès de matière... Le sujet tient plus à l'Epopée qu'à la Tragédie, Homère lui fournit le départ... Les procédés de la Poésie ne sont pas comme les proportions mathématiques, sûres et permanentes..."

Il convient de faire la part, dans ce discours, de l'inflation propre au temps.