Parallèlement
au langage à surprise de la scénographie baroque avec ses brusques
changements de décors, ses vols ailés, ses incendies, son enfer,
ses naufrages, mais où l'Olympe intervient de moins en moins
dans la vie des humains devenus responsables de leurs passions,
le langage des Livrets devient anti-classique et s'en flatte.
L'influence
du poète Marino, de son style ornementé, anti-naturel, n'y est
pas étrangère, celle de Gongora, parfois avancée, est plus contestable
et moins explicable, Italie et Espagne appartenant à des modes
de pensées différents.
Ce
langage procède aussi du mélange des genres dans les intrigues
où l'on voit de grands personnages sérieux engagés dans des
situations comiques ou bien confrontés à des personnages de
valets comiques, ainsi dans Giasone de Cavalli (1649)
sur le Livret de Cicognini.
Plus
tôt, même dès 1641, dans le Ritorno d'Ulisse in Patria
de Monteverdi donné à Venise au théâtre San Cassiano, l'auteur
du Livret, Giacomo Badoaro, tout vieil académicien qu'il est,
se pique dans l'Avant-propos d'anticonformisme. On tombe en
réalité dans une autre forme de convention : le formalisme
du "dramma per musica" mais dont la fonction communicative
doit beaucoup à l'oratorio baroque.
Métaphores,
antithèses, jeux de mots et sentences graves s'adressent au
public en "a parte". Le langage versifié est soucieux
de musicalité avec ses assonances, ses reprises, ses contrastes
et le "contra posto" de discours rapides en changement.
On pourrait parler d'"exercice de style" et de "merveilleuse
exagération" comme le dit un contemporain, Sforza Pallavicino,
en 1642. Les sujets eux-mêmes portaient à la déraison, à la
parodie, à la dérision des personnages les plus sérieux, à leur
déformation initiale.
Dans
la deuxième moitié du XVIIe siècle s'amplifiera cette tendance
avec Matteo Noris : La Semiramide (1671), Sartorio :
L'Adelaide (1672), Il Candaule de P. Andrea Ziani
(1679), et beaucoup avec Aurelio Aureli, son Alceste
(1660) et son Orfeo (1673).
On
pourrait multiplier les exemples, en apportant une nuance avec
le grand genre de l'Opéra héroï-comique vénitien, représenté
par La Totila (1677) de Legrenzi et Noris, ou son Il
Giustinio (1683) et Onotorio in Roma (1692) de Pollarolis.
Mais
que disait Giacomo Badoaro dans son Avant-propos d'Il Ritorno
d'Ulisse pour s'expliquer et se justifier ? Il parlait
d'un tragique "satiri-comico" et de "diletto"
(plaisir), mêlé au lamentable. "Cet opéra, dit-il, porte
nécessairement à sortir des règles non par erreur mais par volonté,
non par inadvertance... prenant une comparaison, il ajoute :
les monstres sont des défis de la nature, hors de ses intentions.
Les géants, par contre ne sont pas des défauts ni des monstres,
mais hors des communes mesures des autres hommes, nés ainsi
par excès de matière. Si on disait que cet opéra est un monstre,
je dirais non, je dirais que le sujet excède la commune mesure
des autres tragédies, que c'est un géant né ainsi par excès
de matière... Le sujet tient plus à l'Epopée qu'à la Tragédie,
Homère lui fournit le départ... Les procédés de la Poésie ne
sont pas comme les proportions mathématiques, sûres et permanentes..."
Il
convient de faire la part, dans ce discours, de l'inflation
propre au temps.