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Les Fêtes Vénitiennes
Ballet,
en un Prologue et trois Entrées

Représentée pour la première fois par l'Académie Royale de Musique,
 le 17 Juin 1710,
repris le 10 Mars 1713, le 10 Juillet 1721, le 14 Juin 1731, le 19 Juillet 1740, le 16 Juin 1750. Et remis au Théâtre le 28 Août 1759.

Livret de Danchet
Musique de Campra




 

 



 


 

Le Carnaval & la Folie
Prologue des Fêtes Vénitiennes

ACTEURS

LE CARNAVAL
LA FOLIE
SUIVANTS du Carnaval & de la Folie.

Le Théâtre représente La Place de Venise ; & dans l'éloignement, les Iles qui sont en vue de cette place.

Scène Première.

LE CARNAVAL, TROUPE DE MASQUES.

LE CARNAVAL.
L'éclat de ce séjour, tranquille au sein des mers,
Attire cent Peuples divers,
Charmés de sa magnificence ;
Mais il n'est jamais si pompeux,
Que lorsque les ris & les jeux
S'y rassemblent par ma présence.

Gardez-vous de troubler nos doux amusements ;
Fuyez, sombres chagrins ; fuyez, sagesse austère :
Volez, amours, volez, abandonnez Cythère .
Venez sur ces bords charmants.

LE CHŒUR.
Volez, amours, volez, abandonnez Cythère,
Venez sur des bords plus charmants.

LE CARNAVAL.
Vous y trouverez mille amants,
Occupés du soin de vous plaire.

LE CHŒUR.
Volez, amours, volez, abandonnez Cythère,
Venez sur des bords plus charmants.

LE CARNAVAL.
Pour cacher un tendre mystère,
J'offre d'heureux déguisements :

Volez, amours, volez, abandonnez Cythère,
Venez sur des bords plus charmants.

LE CHŒUR.
Volez, amours, volez, abandonnez Cythère,
Venez sur des bords plus charmants.

 

Scène II.

LE CARNAVAL, LA FOLIE.
La Suite de la Folie entre en dansant.

LA FOLIE.
Accourez, hâtez-vous,
Goûtez les charmes de la vie ;
Je les dispense tous ;
Il n'en est point sans la Folie.

Les plaisirs règnent dans ma cour,
C'est moi seule qui les inspire :
Je sers de guide au tendre Amour,
Et je partage son empire.

Accourez, hâtez-vous,
Goûtez les charmes de la vie ;
Je les dispense tous ;
Il n'en est point sans la Folie.

Je ramène les tendres jeux,
Je chasse la raison cruelle ;
Venez, vous serez trop heureux,
Si vous êtes délivrés d'elle.

Accourez, hâtez-vous,
Goûtez les charmes de la vie ;
Je les dispense tous ;
Il n'en est point sans la Folie.

(Les Suivants du Carnaval & de la Folie forment le divertissement.)

LE CARNAVAL, LA FOLIE, & LE CHŒUR.
Chantons, & réjouissons-nous :
Laissez-nous, raison trop sévère ;
Nous donner d'austères leçons
N'est pas le moyen de nous plaire.
Chantons, & nous réjouissons :
Laissez-nous, raison trop sévère.

 

Les Devins de la Place Saint-Marc
Première Entrée

 

ACTEURS.

LÉANDRE, Cavalier Français.
ZÉLIE, Jeune Vénitienne, déguisée en Bohémienne.
UNE BOHÉMIENNE.
DEVINS, BOHÉMIENS & BOHÉMIENNES.

 

Le Théâtre représente la Place Saint-Marc.

Scène Première.

UNE BOHÉMIENNE, ZÉLIE déguisée en Bohémienne.

LA BOHÉMIENNE.
Notre climat jamais n'eut rien de comparable
Aux attraits qui brillent en vous :
Que ma troupe serait aimable,
Si vous pouviez toujours demeurer parmi nous !

ZÉLIE.
Je ne mérite point un langage si doux.

LA BOHÉMIENNE.
Chacun d'une ardeur non commune,
Vient nous consulter en ces lieux :
Qu'un coeur serait content de sa bonne cfortune,
S'il la lisait dans vos beaux yeux !

Mais ne puis-je savoir quelle est votre entreprise ?
Pourquoi sous notre habillement,
Vous voulez aujourd'hui ?...

ZÉLIE.
Vous en êtes surprise ?
Pour vous en éclaircir, écoutez un moment.

Un jeune Amant, parti des rives de la Seine,
A depuis quelque temps paru dans ce séjour :
On dirait qu'il porte ma chaîne ;
Avec empressement il me suit chaque jour,
Et souvent dans la nuit, d'une voix la plus tendre,
Près des lieux que j'habite, il vient me faire entendre
Tout ce que peut dicter l'Amour.

LA BOHÉMIENNE.
C'est par des amorces pareilles
Que l'Amour est souvent vainqueur ;
Quand on sait charmer les oreilles,
On est bientôt maître du coeur.

ZÉLIE.
Je ne le cèle pas, j'ai peine à m'en défendre ;
Mais je le crois volage, & je voudrais apprendre
Quels sont ses sentiments secrets :
Il se plaît à vos jeux ; si je le vois paraître,
Sous cet habillement, en lui cachant mes traits,
Je tâcherai de le connaître.

LA BOHÉMIENNE.
Après avoir donné son coeur,
Est-il temps de vouloir connaître ce qu'on aime ?
Une amante, dans son ardeur,
Cherche à se tromper elle-même.

ZÉLIE.
Non, non ; si son amour ne répond pas au mien,
Peut-être je pourrai rompre un fatal lien.

ENSEMBLE.
Un coeur fidèle, qui s'engage,
S'expose au plus cruel danger :
Quel tourment d'aimer un volage,
Et de ne savoir pas changer !

(Léandre paraît au fond du Théâtre.)

ZÉLIE.
C'est lui qui vient : pour le surprendre
Je veux l'observer & l'entendre.

(Elles sortent.)

 

Scène II.

LÉANDRE.
Amour, favorise mes voeux !
Ne sois point offensé si mon coeur est volage ;
Prendre souvent de nouveaux noeuds,
C'est te rendre souvent hommage.

Lorsque j'ai triomphé d'un coeur,
Je médite une autre victoire :
Brûler d'une infidèle ardeur,
C'est travailler sans cesse à te combler de gloire.

Amour, favorise mes voeux !
Ne sois point offensé si mon coeur est volage ;
Prendre souvent de nouveaux noeuds,
C'est te rendre souvent hommage.

        

 

Scène III.

LÉANDRE, ZÉLIE, en Bohémienne.

ZÉLIE entre sur le Théâtre en dansant.
Jeune Etranger, veux-tu savoir
Ta bonne ou ta mauvaise fortune ?
Ma science n'est pas commune
Dans le grand art de tout prévoir.

LÉANDRE.
Je ne veux point prévoir le plaisir ni la peine,
Pour être au rang des coeurs contents :
La crainte d'un malheur m'inquiète & me gêne ;
Et je goûte bien moins un bonheur que j'attends.

ZÉLIE.
Que ta crainte finisse,
Eprouve quels sont mes talents :
Du moins sur tes projets galants
Veux-tu que mon art t'éclaircisse ?

LÉANDRE.
Sur mes projets d'amour je crains peu l'avenir ;
Vous pouvez m'en entretenir.

ZÉLIE.
Par mes sublimes connaissances,
Je lis dans les secrets des Dieux :
Et dans ta main ou dans tes yeux,
Je connaîtrai ce que tu penses.

(Elle prend la main de Léandre.)

Que vois-je ? dans ces lieux
A combien de beautés tu promènes ta tendresse !
Tu sais parler d'amour, tu l'exprimes des mieux,
Sans que d'un trait constant jamais ce Dieu ne te blesse.

LÉANDRE.
Je croyais vos discours un effet du hasard ;
Mais je vais admirer votre art.

Il est vrai, je suis infidèle,
Par tout ce qui me plait je me sens arrêté :
Le coeur ne fut jamais le tribut d'une belle,
Il est celui de la beauté.

ZÉLIE.
Deux objets dans Venise ont vu briller ta flamme ;
Et je sais bien pourquoi tu n'en sens plus l'ardeur.

LÉANDRE.
Quoi ! vous pouvez savoir ?...

ZÉLIE.
Tu règnes dans leur âme,
Elles ne touchent plus ton coeur.

LÉANDRE.
Dois-je me piquer de constance,
Dès que d'un tendre objet le coeur paraît charmé ?
Ce serait démentir les lieux de ma naissance,
D'être toujours amant lorsque je suis aimé.

ZÉLIE, en reprenant la main de Léandre.
Pour une nouvelle maîtresse,
Je vois qu'un nouveau soin te presse.

LÉANDRE.
Croyez-vous bien que je puisse l'enflammer ?

ZÉLIE.
Elle est fière et jamais n'eut de faiblesse.

LÉANDRE.
Non, ne pensez pas m'alarmer.
Je sais contraindre un coeur rebelle
A m'engager sa liberté :
Je voudrais pour la nouveauté,
Pouvoir trouver une cruelle.

ZÉLIE.
Je prévois que bientôt ton coeur sera content :
Elle veut un amour constant.

LÉANDRE.
Je jure avec transport la plus vive tendresse,
Je jure que jamais elle ne peut finir :
Il m'est toujours aisé d'en faire la promesse,
Et mal aisé de la tenir.

ZÉLIE.
Ecoute par mon art ce que je vais prédire.
Aujourd'hui dans nos jeux
Tu verras l'objet de tes voeux :
Lui-même aura soin de t'instruire
Du succès de tes feux.

 

Scène IV.

LES ACTEURS DE LA SCÈNE PRÉCÉDENTE,
DEVINS, BOHÉMIENS  & BOHÉMIENNES,
qui entrent sur le Théâtre en dansant.

LE CHŒUR.
Venez, empressez-vous, Amants ; venez entendre
Quel sera le succès de vos soins amoureux:
Par notre art vous pouvez apprendre
Tous les événements heureux, ou malheureux.

(On danse.)

ZÉLIE.
Sans troubler le repos du ténébreux empire,
Jusque dans l'avenir nous avons l'art de lire.
Amant, si vous êtes constant,
Toujours empressé, toujours tendre ;
Il est aisé de vous apprendre
Quel est le sort qui vous attend.
Quel objet pourrait se défendre ?
Espérez, vous serez content :
L'instant est marqué pour se rendre,
L'Amour amène cet instant,
Pourvu que vous vouliez attendre.

Amant, si vous êtes constant, &c.

(On danse.)

Venez fière beautés, écoutez nos chansons ;
Songez à profiter de nos tendres leçons.
Vous soumettez à votre empire
Une foule d'amants :
Si vous méprisez, je ne puis vous prédire
Que des regrets & des tourments.

L'Amour, qui vole sur vos traces,
Ne règne que dans vos beaux ans ;
Il s'enfuit avec les grâces
Que vous donne votre printemps.

Vous perdez des jours favorables,
Où vos yeux pourraient tout charmer ;
Quand vous ne serez plus aimables,
Que vous servira-t-il d'aimer ?

L'Amour, qui vole sur vos traces,
Ne règne que dans vos beaux ans ;
Il s'enfuit avec les grâces
Que vous donne votre printemps.

(On danse.)

(A la fin du Divertissement, Léandre se lève, & paraît inquiet.)

 

Scène Dernière.

LÉANDRE, ZÉLIE.

LÉANDRE.
Votre art est peu certain ; je ne vois point paraître
L'objet que j'avais souhaité.

ZÉLIE.
D'un espoir séducteur je ne t'ai point flatté ;
Il faut te le faire connaître.

(Elle se démasque.)

LÉANDRE.
Que vois-je ?

ZÉLIE.
Tu m'offrais de dangereux liens.
Je sais tes sentiments, tu peux juger des miens.

(Elle sort.)

LÉANDRE.
Il faut l'avouer, son adresse est extrême,
Et je ne pouvais le prévoir ;
Mais ce trait cependant montre assez qu'elle m'aime ;
Suivons-là : je n'ai point encor perdu l'espoir.

FIN DE LA PREMIÈRE ENTRÉE.

 

Le Bal
Deuxième Entrée

 

ACTEURS.

ALAMIR, Prince Polonais, habillé à la française.
THÉMIR, Gentilhomme de la Suite d'Alamir, déguisé en Prince Polonais.
IPHISE, Vénitienne.
MAÎTRE DE MUSIQUE,
MAÎTRE DE DANSE.
MASQUES DE DIFFÉRENTS CARACTÈRES.

 

Le Théâtre représente un Salon, préparé pour un Bal.

Scène Première.

ALAMIR, THÉMIR.

THÉMIR.
Seigneur, trop de délicatesse
Trouble votre félicité :
Vous aimez dans Venise une jeune beauté,
Et vous ne la charmez que par votre tendresse.

Elle ignore qu'en vous un prince est son amant ;
Et, pour juger encor de sa persévérance,
Paré de votre nom, sous votre habillement,
Je fais briller l'éclat d'une haute puissance.
Du plus parfait amour
Je feins de ressentir toute la violence ;
Mais les fêtes, les jeux que j'offre chaque jour,
N'affaiblissent pas sa constance.

ALAMIR.
De ses vrais sentiments j'ai voulu m'éclaircir ;
Ce projet a rendu ma flamme plus heureuse.

THÉMIR.
Il est rare de réussir
Par cette épreuve dangereuse.

Le désir d'un rang glorieux
Eteint les ardeurs des plus belles ;
Il est bien moins de coeurs fidèles,
Qu'il n'est de coeurs ambitieux.

ALAMIR.
Et c'est ce qui troublait mon âme ;
Je n'osais me livrer aux transports de ma flamme.

Un amant, élevé dans l'éclat des grandeurs,
En amour n'est jamais paisible ;
Il peut toujours douter si c'est à ses ardeurs,
Ou si c'est à son rang qu'une amante est sensible.

THÉMIR.
Tout conspire à vous rendre heureux ;
Ne vous imposez plus une dure contrainte :
Iphise apprenant votre feinte,
Pourra la pardonner à vos feux.

Par vos ordres exprès, j'ordonne un bal pompeux :
Deux maître renommés, qu'a vu naître la France ;
Doivent en préparer & les chants & la danse :
Vous y verrez l'objet de vos plus tendres voeux.

ALAMIR.
Tu sais par quel moyen tu me feras connaître.

THÉMIR.
Allez, je vois paraître
Les ordonnateurs de nos jeux.

 

Scène II.

THÉMIR, UN Mtre DE MUSIQUE, UN Mtre DE DANSE.

LE Mtre DE MUSIQUE & LE Mtre DE DANSE
De nos communs efforts vous devez tout attendre.

LE Mtre DE MUSIQUE.
Ballet charmant !

LE Mtre DE DANSE.
Musique tendre !

LE Mtre DE MUSIQUE.
Ah ! c'est vous...

LE Mtre DE DANSE.
Ah ! c'est vous...

ENSEMBLE.
Qui m'emportez sur moi.

THÉMIR.
J'admire ce flatteur langage :
Mais, parmi vous, est-ce un usage
De vous louer de bonne foi ?

LE Mtre DE MUSIQUE.
Grâce au Ciel, de mon art je connais le sublime,
Tout cède à mes divins transports :
Je puis, dans le feu qui m'anime,
Du chantre de la Thrace effacer les accords.

LE Mtre DE DANSE.
Mes pas font autant de merveilles,
Il sont brillants & gracieux ;
Je sais l'art de tracer aux yeux
Les sons qui frappent les oreilles.

LE Mtre DE MUSIQUE.
Aux yeux des matelots
Faut-il peindre un orage ?
Je porte partout le ravage,
Je fais siffler les vents, je soulève les flots.

LE Mtre DE DANSE.
Si des vents en courroux il faut montrer la rage,
Par divers tourbillons j'en deviens une image.

LE Mtre DE MUSIQUE.
Faut-il inspirer le repos ?
Au tranquille sommeil je prête des pavots.

LE Mtre DE DANSE.
D'un songe agréable
Je peins la douceur :
D'un songe effroyable
Je fais voir l'horreur.

LE Mtre DE MUSIQUE.
Si j'évoque les morts & leurs demeures sombres,
Je puis faire trembler les plus audacieux.

LE Mtre DE DANSE.
Sous le terrible aspect d'un démon furieux,
Je puis épouvanter les ombres.

LE Mtre DE MUSIQUE.
Je célèbre l'amour sur mille to,s divers ;
Je vante le printemps, les zéphirs, la verdure ;
On croit entendre dans mes airs
Un rossignol qui chante, un ruisseau qui murmure.

LE Mtre DE DANSE.
J'anime les bergers heureux
Qui, par une danse légère,
Semblent sur la verte fougère
Tracer l'image de leurs feux.

LE Mtre DE MUSIQUE.
Par une brillante saillie.
Je fais honneur à l'Italie.
Volate Amori
Ferite tutti i cori.

LE Mtre DE DANSE.
Et moi je fais....

THÉMIR.
Allez, je vois quelqu'un paraître;
Allez tout apprêter.

Pour maître dans vos art je dois vous reconnaître,
Au soin que vous prenez tous deux de vous vanter.

 

Scène III.

ALAMIR, IPHISE.

ALAMIR.
Pourrais-je me flatter de régner dans votre âme,
Lorsqu'un prince, charmé de l'éclat de vos yeux,
Joint à l'hommage de sa flamme,
Tout ce qui peut toucher un coeur ambitieux ?

La gloire, la magnificence
Accompagnent partout ses pas ;
Et je n'oppose à tant d'appas
Que mon amour & ma constance.

IPHISE.
Cruel ! Tel est votre rigueur ?
Par cet injuste effroi n'offensez point mon coeur.

Vous savez que je vous aime ;
Je fais mon bonheur suprême
De vous charmer à mon tour :
C'est dans une âme commune,
Que l'éclat de la fortune
Peut triompher de l'amour.

ALAMIR.
Quoi ? votre coeur pourrait refuser la victoire
Aux charmes d'un rang éclatant !

IPHISE.
Je ne veux que la gloire de vous rendre constant.

ALAMIR.
Ah ! c'en est trop, beauté charmante !
Partagez d'un amant la fortune brillante ;
Il vous offre un bonheur certain.
Que sous d'aimables lois un doux hymen vous range ;
Consentez que l'amour vous venge
Des fautes du destin.

IPHISE.
Dans quels soupçons, Ingrat, me jette ce langage !

ALAMIR.
Le Ciel en vous formant vous a fait un outrage.
Les sentiments du coeur & le charme des yeux
Furent votre partage ;
Mais vous deviez briller dans un rang glorieux.
Il faut qu'un mortel, qui vous aime,
Vous offre la grandeur suprême,
Que devaient vous donner les Dieux.

IPHISE.
Ah, j'ai perdu votre tendresse !
Ce vain discours est une adresse
Qui cache un changement fatal :
Non, il n'est pas possible
Qu'un amant bien sensible
Parle pour son rival.

ALAMIR.
Aimez un prince, aimez...

IPHISE.
C'en est fait, je suivrai le transport qui me guid :
Pour me venger de toi, j'approuverai ses feux,
Mon juste désespoir... Je le vois qui s'avance :
Ingrat ! je t'aime encor, malgré ton inconstance.

 

Scène IV.

ALAMIR, IPHISE, THÉMIR.

THÉMIR.
Prince, les jeux sont prêts :
Sans vos ordres exprès,
Je ne dois point...

IPHISE.
O Ciel !

ALAMIR.
Que la fête commence.

 

Scène V.

ALAMIR, IPHISE.

IPHISE.
Qu'entends-je ! quel est ce discours ?
Ne puis-je savoir le mystère ?

ALAMIR.
Iphise, jai voulu vous plaire,
Sans avoir de mon rang employé le secours.
Mon coeur est assuré du vôtre ;
Pardonnez cette feinte à la plus vive ardeur :
Partagez avec moi la suprême grandeur,
Dont tout l'éclat n'a pu vous toucher pour un autre.

IPHISE.
Je ne vois en vous qu'un amant ;
Votre amour seul touche mon âme.

ALAMIR.
Ah, que mon bonheur est charmant !
Et qu'il augmente encor ma flamme !

ENSEMBLE.
Aimons-nous, aimons-nous ;
Qu'à jamais l'Amour nous enchaîne !
Richesse, grandeur souveraine,
Sans lui, rien ne peut être doux ;
Aimons-nous, aimons-nous ;
Qu'à jamais l'Amour nous enchaîne !

 

Scène Dernière.

LES ACTEURS DE LA SCÈNE PRÉCÉDENTE;
LES MAÎTRES DE MUSIQUE & DE DANSE
viennent avec une foule de Masques dansants & chantants, & le bal commence.

LE CHŒUR.
Que les ris, que les jeux dans cet heureux séjour,
Avec tous ses attraits fassent régner l'Amour.
Tendre Amour, dans la nuit c'est toi seul qui nous guides;
Tu la fais préférer aux jours les plus charmants ;
Tu rends, dans ces moments,
Les amants plus hardis, les beautés moins timides.

(On danse.)

IPHISE.
Régnez, charmants Plaisirs, régnez dans ces climats,
Bannissez la raison, recevez notre hommage.
Les Mortels & les Dieux suivent partout vos pas :
Vous enchaînez le Temps au pied de votre image ;
Vous suspendez son funeste ravage,
Et les belles, par vous, renouvellent d'appas.

(On danse.)

FIN DE LA DEUXIÈME ENTRÉE.

 

L'Amour Saltimbanque
Troisième & dernière Entrée

 

ACTEURS.

FILINDO, chef des Saltimbanques.
ÉRASTE, Jeune Français.
LÉONORE, Jeune Vénitienne.
NÉRINE, Surveillante de Léonore.
L'AMOUR, Saltimbanque.
SALTIMBANQUES

 

Le Théâtre représente une Place publique.

Scène Première.

FILINDO, Chef d'une troupe de Saltimbanques,
ÉRASTE, jeune Français, déguisé en Espagnol, un masque à la main.

FILINDO.
Amant, que votre trouble cesse ;
Lorsqu'un aimable objet vous blesse,
Voyez quels sont vos médecins :
L'Amour dans vos maux s'intéresse,
Et je seconde vos desseins.

ÉRASTE.
C'est trop longtemps cacher ma peine :
Léonore a touché mon coeur ;
Je veux lui découvrir ma secrète langueur ;
Mais mon attente est toujours vaine :
On l'observe avec soin, on la fuit en tous lieux,
Je n'ai pu, jusqu'ici, lui parler que des yeux.

FILINDO.
Les yeux, dans l'amoureux empire,
Sont les interprètes des coeurs.
Un regard languissant prouve un tendre martyre,
Mieux qu'un discours rempli de fleurs.
Les yeux dans l'amoureux empire,
Sont les interprètes des coeurs.

ÉRASTE.
Le langage des yeux est un charmant usage,
A deux coeurs bine unis il offre mille appas ;
Mais que sert ce langage,
Si l'un des deux ne l'entend pas ?

FILINDO.
Une belle souvent, dans l'âge le plus tendre
Ne sait pas le parler,
Qu'elle commence de l'entendre.
Si l'objet qui vous charme est encore à l'apprendre,
Mon zèle va se signaler ;
Il n'est rien que pour vous je ne puisse entreprendre.

Léonore dans ce séjour
S'amuse quelquefois aux innocents spectacles
Qu'au Public assemblé je donne chaque jour ;
Je prépare des jeux, qui vaincront les obstacles
Que l'on oppose à votre amour.

(Il aperçoit Léonore avec une Surveillante.)

C'est elle qui paraît : on la suit ; le temps presse :
Cachons-nous à ses yeux ; allons tout préparer.

ÉRASTE.
Que le sort favorise, ou trompe ma tendresse,
D'un coeur reconnaissant je puis vous assurer.

 

Scène II.

LÉONORE, NÉRINE, Surveillante.

NÉRINE.
Songez, songez à vous défendre ;
Tout amant est un imposteur.
Par l'attrait d'un discours flatteur,
Il ne cherche qu'à vous surprendre.
Songez, songez à vous défendre ;
Tout amant est un imposteur.

LÉONORE.
Me tiendrez-vous toujours cet importun langage ?
Vos soupçons éternels doivent me faire outrage.
Sans vous, sans vos conseils, je puis garder mon coeur.

NÉRINE.
Songez, songez à vous défendre.

LÉONORE.
Faudra-t-il toujours vous entendre ?

NÉRINE.
Tou amant est un imposteur.

LÉONORE.
Valère, Octave, en vain prétendent me contraindre
A ressentir l'amour.

NÉRINE.
Venise dans son sein leur a donné le jour,
Il ne sont pas les plus à craindre :
Mais ce jeune Étranger...

LÉONORE.
Hélas !

NÉRINE.
Vous soupirez !
La France l'a vu naître, il est galant, aimable ;
De tous ceux que vous attirez,
Je le crois le plus redoutable.

LÉONORE.
J'ignorais que, sans cesse attachés sur mes pas,
Cet amant de mon coeur voulût se rendre maître :
Je ne le connaissais pas,
Vos soupçons me l'ont fait connaître.

Si la constance de sa foi
Me contraint un jour à me rendre,
Non, ce n'est plus à moi,
C'est à vous qu'il s'en faudra prendre.

NÉRINE.
Vous le croyez constant ? Ah ! redoutez les feux
Des amants que produit ce climat dangereux.
Si vous les rebutez, leur amour est extrême,
Rien n'égale l'ardeur de leurs tendres désirs ;
Mais quand ils savent qu'on les aime,
Ils sont plus inconstants que l'onde & les zéphirs.

LÉONORE.
Par des portraits peu véritables
On nous trompe dans nos beaux jours ;
Pour nous faire peur des amours,
On nous peint des amants redoutables.

NÉRINE.
Vous m'en dites assez ; cet amant vous séduit.
De mes sages leçons est-ce donc là le fruit ?

LÉONORE.
Je pourrais bien un jour mériter vos alarmes.
Je crois que les amours n'ont que de faux brillants,
J'ai toujours méprisé leurs armes ;
Mais je conçois qu'il est des charmes
A tromper des yeux surveillants.

NÉRINE.
Je le vois, rien ne vous arrête ;
Rebelle à mes conseils...

LÉONORE.
Laissez-moi voir la fête.

NÉRINE.
Je vous l'ai dit cent fois : gardez bien votre coeur ;
Songez, songez à vous défendre.

LÉONORE.
Faudra-t-il toujours vous entendre ?

NÉRINE.
Tout amant est un imposteur.

 

Scène Dernière.

L'Amour paraît avec sa Suite. Il est revêtu d'ornements pareils à ceux des Saltimbanques, qui le précédent ; & il n'est caractérisé que par un arc qu'il tient à sa main. Il va se placer sur un Théâtre élevé par les plaisirs & les jeux, qui l'accompagnent sous des formes comiques.

L'AMOUR, FILINDO, ÉRASTE, LÉONORE, NÉRINE.

FILINDO & LE CHŒUR.
Hâtez-vous, accourez, volez de toutes parts ;
Nous vous amenons de Cythère
Ce qui peut charmer vos regards ;
Notre soin vous est nécessaire :

Hâtez-vous, accourez, volez de toutes parts.

(Tandis que la Surveillante s'occupe à voir la fête, Éraste s'approche de Léonore, & s'entretient avec elle.)

L'AMOUR.
Venez tous, venez faire emplette ;
Je vends le secret d'être heureux ;
Je sais dispenser ma recette
Par les plaisirs & par les jeux.

La froide indifférence est une maladie
Funeste aux jeunes coeurs ;
Je remédie
A ses langueurs.

Venez tous, venez faire emplette ;
Je vends le secret d'être heureux ;
Je sais dispenser ma recette
Par les plaisirs & par les jeux.

L'ennui d'une âme insensible
Est un dangereux poison ;
Pressez-en la guérison ;
Mon secret est infaillible
Dans votre jeune saison.

Venez tous, venez faire emplette ;
Je vends le secret d'être heureux ;
Je sais dispenser ma recette
Par les plaisirs & par les jeux.

(On danse.)

L'AMOUR.
Effet admirable
De mon savoir !
Tout devient aimable
Par mon pouvoir.

La jeunesse en est plus brillante,
Et la vieillesse moins pesante ;
La laideur se perd par mon fard ;
La beauté paraît plus touchante
Avec le secours de mon art.

Effet admirable
De mon savoir !
Tout devient aimable
Par mon pouvoir.

Au plus timide coeur je donne du courage,
J'anime le plus indolent,
J'adoucis une âme sauvage,
Je rends vif l'esprit le plus lent.

Effet admirable
De mon savoir !
Tout devient aimable
Par mon pouvoir.

(On danse.)

L'AMOUR.
Le prix d'un si grand bien, peut-être vous étonne ?
Je ne le vends plus je le donne :
Au bon vieux temps des Amadis,
Je le mettais à trop haut prix.

J'exigeais des soupirs, des pleurs, de la constance
Un coeur sincère, un coeur discret,
Et qui, même sans récompense,
Fût content de languir, de brûler en secret.

Ce n'est plus la mode
Des amants constants :
L'Amour s'accommode
Aux défauts du temps.

Un peu de contrainte,
Un coeur complaisant,
Une flamme feinte
Suffit à présent.

Ce n'est plus la mode, &c.

ÉRASTE à Léonore.
Non, il est un fidèle amant
Qui porte vos fers, qui vous aime.

LÉONORE.
L'Amour dans vos discours me paraît plus charmant
Que lorsqu'il se vante lui-même.

NÉRINE.
Ah ! vous trompez mes soins !

ÉRASTE.
Ne contrains plus nos feux,
Cesse de nous être contraire ;
Obtenons l'aveu de son Père :
Espère tout de moi, si je deviens heureux.

L'AMOUR.
Le temps s'écoule,
Il faut le ménager ;
Venez en foule,
Je suis un marchand passager.

Je fais peu de séjour, je pars sans qu'on y pense,
Vous regretterez ma présence ;
Hâtez-vous d'acheter : & vous, Plaisirs charmants ;
Préparez à leurs yeux de doux amusements.

(La Suite de l'Amour forme un divertissement comique.)

L'AMOUR.
Vous, à qui deux beaux yeux assurent la vixtoire,
Fière beautés, aimez à vote tour ;
Songez que vos appas sont des dons de l'Amour,
Qu'il faut employer pour sa gloire.

(Le divertissement continue.)

FIN DE LA TROISIÈME ET DERNIÈRE ENTRÉE.

 

Prologue
 Le Carnaval et la Folie

 Première Entrée
Les Devins de la Place Saint-Marc

Deuxième Entrée
Le Bal

Troisième Entrée/
L'Amour Saltimbanque.